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Teiki et le tatouage marquisien en Polynésie française

Te Patutiki, le vrai nom du tatouage marquisien

Publié le 21 juillet 2017

Hommes de Polynésie est allé à la rencontre de Teiki HUUKENA, un marquisien originaire de Nuku Hiva, auteur des livres « Hamani haa tuhuka TE PATUTIKI tome 1 » et » Hamani haa tuhuka TE PATUTIKI tome 2 », dictionnaires du tatouage marquisien. Sur le départ, avant de retourner « à la source du tatouage » comme il aime appeler La Terre des Hommes1, Teiki nous parle avec passion de ce qui l’anime.

« Éduquer et transmettre un savoir à ceux qui s’y intéressent est une des belles choses dont on peut être fier. Teiki Huukena s’y est employé… » 
Marie Noelle et Pierre Ottino Garanger2

« JE VIENS D’UNE FAMILLE DE SCULPTEURS MARQUISIENS »

Teiki est né à Nuku Hiva le 21 mars 1974. Il a grandi avec ses grands-parents maternels jusqu’à l’âge de dix ans. Le milieu dans lequel il baigne est celui d’artistes sculpteurs. La vie est douce dans cette île bénie des Dieux. Le marquisien est la langue qu’il parle depuis l’enfance et son grand père lui transmet son savoir avec bienveillance et générosité.

À l’âge de 10 ans, il vient à Tahiti au collège, y rejoint sa maman mais retourne aux Marquises à chaque vacances scolaires. Il intègre le petit séminaire, ayant eu pour modèle Monseigneur Le Cleach3 qui a beaucoup œuvré pour le peuple marquisien. Il le quitte à l’âge de 14 ans car il sent qu’il n’a pas la vocation pour devenir prêtre. Puis il part deux années en France et s’engage par la suite dans la Légion étrangère à l’âge de 17 ans. Il y fait carrière, et prend sa retraite 19 ans plus tard en tant qu’adjudant. Ensuite, il crée le salon du tatouage à Nîmes, non loin de son ancienne caserne. Depuis son adolescence, Teiki n’a jamais cessé de tatouer, aussi bien des membres de sa famille que ses collègues de travail. Le tatouage, il a ça dans le sang.

Tatouage marquisien, Polynésie française ©Tagaloa Tikitattoo Nîmes
©Tagaloa Tikitattoo Nîmes

LA CONFUSION ENTRE « TATAU » ET « PATUTIKI »

Aujourd’hui, si l’on pose la question aux hommes et aux femmes de Polynésie pour vérifier s’ils font la différence entre « tatau »4 et « patutiki »5, rares sont les personnes qui sont capables de donner une bonne réponse. Si la plupart des personnes connait le terme « tatau », et pourrait dire qu’il s’agit de tatouage, sans distinction particulière, le terme « patutiki » est par contre inconnu de la majeure partie de la population du Fenua6. Teiki me fait part de la différence qui existe entre les tatouages polynésiens :

« Le style du tatouage Marquisien (PATUTIKI ENANA) est très différent du tatouage Tahitien (TATAU TAHITI), du tatouage Maori (TAMOKO à l’origine du tatouage « tribal moderne »), du tatouage Samoa (TA TATAU SAMOA) et autres archipels de la Polynésie… »

Je demande à Teiki de m’en dire plus à ce sujet. C’est un retour sur l’histoire qu’il me propose.

L’INTERDICTION DU TATAU À TAHITI AVANT LA COLONISATION

Avant 1819 dans tous les archipels de Polynésie, les hommes et les femmes avaient pour coutume de se tatouer. Se tatouer certes, mais pas n’importe où, pas n’importe comment et pas n’importe quand. Les symboles qui ornaient leur corps avaient un nom et une signification bien particulière. Certains exprimaient un rang social, une identité, une filiation… D’autres, une maturité sexuelle, une personnalité… D’autres encore des croyances, des légendes locales…

  • En 1819, le code Pomaré, sous l’initiative des missionnaires britanniques, interdit la pratique du tatouage : « Celui qui utilise sur la peau le peigne à tatouer sera puni7… »
  • En 1923, le code de Huahine mentionne les châtiments encourus par les adeptes de cette pratique.

« Personne ne devra se tatouer. Cette pratique doit être entièrement abolie. Elle appartient aux anciennes et mauvaises habitudes (…) La punition de l’homme sera la suivante : il devra travailler sur une portion de route longue de dix toises pour le premier tatouage, vingt toises pour le second, ou casser des pierres sur une longueur de quatre toises et une largeur de deux toises (…) Pour l’homme ou la femme qui persisteront à se tatouer (…) motifs ou ornements devront être détruits en les noircissant8… »

Cet art était destiné à disparaitre, les peines associées à la pratique du tatouage n’incitaient plus les personnes à s’y adonner… C’est ainsi qu’il est tombé en désuétude.

Mais qu’est-ce qui a fait alors que les motifs marquisiens sont prédominants dans le monde du tatouage polynésien ?

Tatouage marquisien par Teiki ©Tagaloa Tikitattoo Nîmes
©Tagaloa Tikitattoo Nîmes

LA PRÉDOMINANCE DU PATUTIKI EXPLIQUÉE

Nul aujourd’hui ne saurait contester ce qui parait comme une évidence pour tous :

« Le PATUTIKI ‘ENANA (tatouage Marquisien) est le plus riche en symboles traditionnels anciens, de ce fait le plus complexe de tous les tatouages polynésiens et il prédomine dans le monde du tatouage Polynésien… »
Teiki Huukena

Teiki m’explique qu’au moment de l’interdiction du tatouage en 1819 à Tahiti, les liens avec les Marquises, du fait de leur éloignement géographique, étaient à cette époque-là quasi inexistants. La Polynésie française telle qu’on la connaît aujourd’hui n’existait pas encore. Tahiti et les Marquises ont évoluées chacune de leur côté, et leurs arts traditionnels aussi. De plus, l’interdiction du tatouage ne concernait pas les Marquises, qui n’ont jamais été sous l’influence des missionnaires britanniques.

Il y a eu par la suite diverses interdictions qui ont eu lieu à des périodes différentes sur Tahiti et aux Marquises tantôt par des autorités religieuses, tantôt par des autorités militaires. Mais aux Marquises, ce sont les interdictions et les levées d’interdiction qui ont alterné : en 1890 par exemple, Mgr Martin lève les sanctions religieuses liées au tatouage. C’est l’arrêté du 15 septembre 1898 du Gouverneur Gallet qui a véritablement interdit le tatouage dans tout l’archipel des Marquises, alors qu’à Tahiti en en 1877, année de la mort la reine Pomare IV, « cette coutume douloureuse… ne correspondait plus à rien dans la société nouvelle9… ».

Il est aussi intéressant de noter que Tahiti, depuis Pomare Ier, était dirigée par un seul chef. Ce qui n’était pas le cas des Marquises. Il y avait sur la Terre des Hommes plusieurs chefs par île, les chefs de vallées. Les interdictions liées au tatouage étaient de ce fait plus difficilement applicables aux Marquises qu’à Tahiti puisque le pouvoir n’était pas centralisé.

Aussi, lorsque l’allemand Karl von den Steinen est venu aux Marquises entre 1897 et 1898 et qu’il a fait l’inventaire des tatouages qu’il a pu observer, c’est au sein du peuple marquisien qu’il a réalisé la quasi-totalité de ses croquis.

Quoi qu’il en soit, les travaux des chercheurs russes Tilésius et Langsdorff11, de Karl von den Steinen12, de l’américaine Willowdean Chatterson Hardy13 et de Marie-Noelle et Pierre Ottino Garanger ont permis à cet art de ne pas disparaître. Pour Teiki, ce sont des trésors précieux, car témoins de l’héritage de nos ancêtres polynésiens.

L’OBJECTIF DE TEIKI CONCERNANT LE PATUTIKI

Le doute est permis : le tatouage a-t-il évolué de façon plus importante aux Marquises qu’à Tahiti ou pas ? Nul ne saurait le dire. Quoi qu’il en soit aujourd’hui, les motifs sont largement représentés par le style marquisien. Appelons un chat un chat, et donc le « Patutiki » pour désigner les symboles marquisiens. C’est le souhait de Teiki Huukena dont l’objectif à venir est de faire inscrire le Patutiki au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

Mais qu’est-ce exactement le patrimoine culturel immatériel ? « Le patrimoine culturel ne se limite pas aux monuments et aux collections d’objets. Il inclut également les traditions ou expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants14… » Le tatouage en ferait donc partie !

Alors la question que nous pouvons nous poser : pourquoi vouloir sauvegarder le patutiki par le biais de l’UNESCO ?

« Le patrimoine culturel immatériel est important, car il nous donne un sentiment d’identité et d’appartenance, liant notre passé à notre avenir par l’intermédiaire du présent… Le patrimoine culturel immatériel a une importance tant sociale qu’économique. Il contribue à la cohésion sociale et aide les individus à éprouver un sentiment d’appartenance à une communauté et à la société dans son ensemble14… »

L’identité culturelle polynésienne, un trésor à préserver et à transmettre aux générations à venir !

L'équipe de tatouage de Nîmes ©Tagaloa Tikitattoo Nîmes
©Tagaloa Tikitattoo Nîmes

1 Terre des Hommes : traduction littérale française de Fenua enata, mot marquisien qui désigne les îles Marquises.

2 Marie-Noëlle et Pierre Ottino-Garanger : Anthropologue et Docteur en archéologie préhistorique et Chercheur à l’institut de Recherches pour le Développement (IRD).

3 Mgr Le Cléach : évêque catholique français, en Polynésie de 1973 à 1986. Excellent connaisseur de la langue et de la culture des Marquises, il traduit la Bible en marquisien.

4 Tatau : signifie tatouage en tahitien.

5 Patutiki : signifie tatouage en marquisien.

6 Fenua : signifie terre, pays en tahitien.

7 L.J. Bouge, Le Code Pomaré, JSO, t. 8, 1952.

8 W. Ellis, ibid., p. 579.

9 Tahiti au temps de la reine Pomaré, 1975, Patrick O Reilly, Société des océanistes.

10 Pomare Ier : (1753 – 1803) chef tahitien qui a unifié les îles de Tahiti, Moorea, Mehetia et Tetiaroa sous son autorité et dont le règne de sa famille s’est étendu jusqu’en 1880.

11 Tilésius et Langsdorf : scientifiques de l’Académie impériale des Sciences de St Petersbourg, qui sont venus aux Marquises lors d’une expédition en 1804.

12 Karl von den Steinen : médecin allemand, anthropologue et auteur des livres « Le tatouage Tome 1, Les Marquisiens et leur art », « Les Marquisiens et leur art : Tome 2, Plastique », « les marquisiens et leur Art : Etude sur le développement de l’ornementation primitive des mers du sud d’après des résultats personnels de voyage et les collections des musées, Volume 3 »

13 Willowdean Chatterson Hardy, auteure américaine du livre « Tattooing in the Marquesas »

14 Questions fréquentes sur le patrimoine culturel immatériel

Tehina de la Motte 
Rédactrice web

© Photos : Hommes de Polynésie

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