Ken Hardie, façonner les artefacts de l’intemporel
Artiste aux multiples talents et à l’inspiration débordante, Ken Hardie n’est plus à présenter. C’est cependant avec l’intime conviction qu’il y a encore plus à découvrir que ce qui a déjà été perçu, que Hommes de Polynésie part à la rencontre de cette personnalité riche en opinion, en expériences et en dextérité.
AUTANT DE MÉTIERS QUE DE VIES
Enfant du monde aux racines multiculturelles, Ken naît à Tahiti de l’union d’un père néo-zélandais et d’une mère marquisienne et hollandaise. Il grandit en Polynésie, dans l’archipel des îles sous le vent. Après quelques années en tant que moniteur de plongée, il souhaite, comme beaucoup de jeunes du fenua, découvrir le monde. De ce fait, il atterrit au Québec et devient infographiste. Il y restera 5 ans, se nourrissant de cette ouverture que lui offre ce pays si différent du sien.
« J’ai adoré le Canada, mais nous sommes des enfants du soleil et j’ai été chassé par le froid (rires). Pendant un an, j’ai fait le tour du monde avec mon sac à dos. Je suis arrivé à Aiguines et c’est là que j’ai décidé d’apprendre à devenir tourneur sur bois(1). J’ai voulu donner un sens à ma vie, avoir de vraies valeurs et les inclure dans mon travail. »
Il rejoint alors une formation à Jean-François Escoulen, l’une des meilleures écoles françaises pour apprendre ce métier. En effet, dans ce village de moins de 300 habitants, le tournage sur bois est une spécialité depuis le XVIe siècle et attire chaque année des visiteurs avides d’en apprendre plus sur cette coutume. Ken se passionne pour ce savoir-faire et décide d’en faire sa profession.
« Je fais un métier atypique car je me suis toujours considéré comme une personne atypique. »
SCULPTER SA PROPRE DESTINÉE
Au sortir de son instruction, il rejoint une résidence d’artistes où il parfait sa pratique. Seulement, les paysages de son île natale continuent de rester une source d’inspiration. Loin de chez lui, Ken devient nostalgique. Les images qui ont façonné sa personne deviennent le fil rouge de sa création. Alliant le savoir-faire acquis à Aiguines et sa passion pour la peinture, son art se définit, plus authentique.
« Les montagnes de Tahiti me manquaient. J’ai commencé naturellement à les peindre et le bois est devenu ma toile. »
Le temps est finalement venu pour lui de rentrer en Polynésie, des œuvres plein les bagages et le cœur empli de projets. De nouveau sur ses terres, il réalise une exposition personnelle à la galerie Winkler où l’espace lui est consacré. La même année, il organise un festival “saladier” dans son atelier qu’il ouvre à Tipaerui, mettant en avant les objets du quotidien, sublimant le fonctionnel. Le public est conquis, les portent s’ouvrent. Miriama Bono, alors directrice du musée de Tahiti et des Îles, le contacte pour représenter la Polynésie au Palais de Paris. Ken Hardie se fait un nom en un rien de temps dans le décor artistique.
« Lorsque je suis revenu en Polynésie, j’ai eu la sensation d’être à la bonne place. On reconnaît mon style. C’est le plus dur en tant qu’artiste, d’avoir sa pâte. Honnêtement j’aimerai être reconnu à l’international. Que mes œuvres parcourent le monde. »
UN INVENTIF ENGAGÉ
Quiconque a posé les yeux sur les productions de ce démiurge(2) a ressenti cette émotion indistincte que l’on éprouve devant des objets d’antan. Exposées en vitrine, les créations de Ken Hardie nous paraissent venir d’une autre époque.
« Je suis clairement influencé par les anciennes civilisations. Mon médium c’est le bois mais je le travaille pour donner l’illusion d’une autre matière. C’est ce que j’adore avec le bois. Je peux lui donner l’apparence de la pierre ou de la nacre en le sculptant et le peignant. »
Tout ce que confectionne le créateur raconte une histoire, transmet une pensée.
« Le message que je porte en tant qu’artiste c’est l’érosion de la culture et la nature qui reprend ses droits. C’est le lien entre toutes mes œuvres. »
Au-delà de la forme, du beau, il y a le fond. C’est une missive au langage universel que Ken grave dans les bûches qu’il prélève dans les vallées.
ÉVOLUER AVEC L’AUTRE
Depuis un an il a ouvert, avec d’autres artistes et artisans, un local à Faa’a. Un lieu pluridisciplinaire d’échanges et de rencontres.
« La richesse c’est la collaboration, il faut partager ses idées pour aller plus loin. »
Il y partage un espace avec William Kremer, menuisier.
« Nos métiers sont très complémentaires. On travaille le bois, mais pas de la même façon. Ça a mené mon travail vers une autre dimension. »
L’inventeur de nouveaux artefacts étoffe conséquemment ses collections, grâce à la force du collectif. Atteignant le sommet de son art, il n’arrête cependant pas de se transformer, de se réinventer.
« L’art évolue, c’est normal car le monde évolue. Il faut continuer à avancer, simplement choisir dans quelle direction. Restons ouverts. Je crois qu’il faut accepter la différence de génération et accueillir le changement. Le secret est simple : il n’y en a aucun. La chance se crée et il faut travailler corps et âme, surtout âme. Transmettre un message, se mettre à nu, se permettre d’être vulnérable dans sa création. »
Sur ces paroles qui nous comblent de nouvelles aspirations et nous anime de cette conviction d’un avenir radieux pour l’art Polynésien, nous quittons l’atelier de Ken avec le désir ardent de découvrir bientôt, des œuvres insoupçonnées.
Définitions
1 : Le tournage sur bois est une forme de travail du bois. Il est employé pour créer des objets de révolution. Pour cela on utilise un tour à bois et des outils de coupe. Beaucoup de formes, simples ou complexes, peuvent être réalisées en tournant le bois, telles que des bols, des vases, des bougeoirs, des pieds de table, certains instruments à vent (flûte, clarinette, hautbois…) …
2 : Personne qui crée quelque chose d’important.
Cartouche
Rédactrice
©Photos : Cartouche pour Hommes de Polynésie
Pour plus de renseignements
Site internet
Évènements à venir
- Ken Hardie proposera sa prochaine exposition personnelle le 24 octobre à la Galerie Winkler.