Jean-Paul Forest, un dialogue avec la pierre
C’est autour d’une pause sucrée aux effluves de café que notre entrevue se déroule. Hommes de Polynésie est allé à la rencontre de celui qui coud les pierres : le sculpteur Jean-Paul Forest.
UN VOYAGE À TRAVERS LES ARTS ET LES CULTURES
Arrivé en Polynésie par le biais du service militaire à la fin des années 70, Jean-Paul tombe amoureux de la vie insulaire et décide de s’installer à Tahiti.
« J’ai été sidéré par ces îles et ce contact avec l’univers : sur une île, on a encore la chance de voir l’immensité, l’infini. Ma culture d’origine me paraissait bancale, pleine de contradictions, et la culture polynésienne m’a offert un autre point de vue sur la manière de vivre et notre rapport à ce qui nous dépasse. »
À cette époque, il s’est déjà essayé à la sculpture mais a vite abandonné. Il ne croit pas en son talent. Cependant il persévère dans l’idée de se découvrir à travers une activité artistique.
« J’ai appris des choses avec la photographie, mais ça n’embellissait pas ma vie. »
Finalement, après avoir tenté l’argentique, le dessin, la peinture, il revient à sa première ambition : la sculpture.
« J’ai abandonné la recherche de forme dans les matériaux, pour me concentrer sur le rapport avec la matière, car la sculpture cherche un autre regard sur celle-ci. Revenir à la création, c’est tenter de trouver un dialogue avec la matière, et non pas de l’utiliser. »
Abdiquant face au concept du figuratif, il oriente sa pratique d’une manière plus personnelle, plus instinctive. Chez lui, trônent des œuvres appartenant au passé, au présent, ayant voyagé dans des galeries, des musées ou attendant d’être déplacées pour se dévoiler au monde.
« Chaque pièce correspond à une époque. Toutes les pièces que j’ai chez moi ont une valeur sentimentale pour moi. »
LA RENCONTRE DES CORPS
Jean-Paul Forest parsème son quotidien de pierres. Partout où se pose notre regard, vivent ces êtres immobiles. Il les prélève dans la vallée, où il se rend pour admirer l’amplitude, mais également créer.
« Un galet de rivière est déjà un corps. »
Lorsque nous lui demandons comment il les choisit, il répond simplement :
« Il faut d’abord que je sois fasciné par un objet, et ensuite je me demande ce qu’on va bien pouvoir se raconter, lui et moi. »
Des rangées de cailloux attendent, à l’extérieur de sa maison, d’être portées jusqu’à l’atelier. Mais tous ne connaîtront pas ce destin.
« Est-ce que j’en fais quelque chose ou est-ce que je les remets dans la vallée ? Ce choix arrive, lorsque je ne trouve pas d’histoire à raconter avec un corps. Dans ce cas-là, je le replace là d’où il vient. »
UNE ODE À LA NATURE ET À SES LÉGENDES
« Ce qui m’intéresse avec la pierre, c’est que c’est la matière la plus disponible et la plus banale sur terre. »
Passionné par la nature, Jean-Paul a une affection toute particulière pour la vallée de la Papeno’o. Seulement, entre 1989 et 1994, des barrages hydrauliques sont construits tout le long de la rivière.
« La vallée de la Papeno’o a été totalement bouleversée dans les années 90. Il y a eu des travaux qui ont défiguré le fond de la vallée. Je me suis dit qu’il fallait arrêter de prélever des pierres et je me suis mis à coudre celles qui avaient été dynamitées. »
Les randonneurs observateurs ou tout simplement chanceux, peuvent apercevoir dans la montagne ces œuvres qui semblent venues d’un temps oublié, ou d’un avenir à découvrir.
« La couture, c’est la manière la plus évidente de rassembler la matière, de réparer ce qui a été détruit. »
Il nous conte alors la légende de Maai a Ruahine1, la femme-lézard. Ce personnage jadis bien connu des habitants de la vallée, est aujourd’hui relégué au passé et à ses ombres. Pour lui rendre hommage, le sculpteur a réalisé plusieurs pièces à son effigie, qu’il a disséminées au cœur de la Papeno’o, là où elle vivait autrefois selon les anciens.
« J’ai voulu la remettre dans son milieu, avant qu’on ne l’oublie. »
L’ORDRE ET LE CHAOS
La démarche artistique de Jean-Paul est avant tout une recherche de lien avec ce qui lui est connu ou inconnu, un rapport d’investigation de la matière, pour raconter une histoire à plusieurs voix.
« L’art pour moi, c’est cela : tu commences avec une intention, des choses qui te parlent à toi, puis un fil se déroule et te guide. Ce qui m’intéresse dans la création, c’est la liberté d’exploration.»
Malgré toutes ces années à embrasser la création, il n’a jamais souhaité en faire un métier.
« J’ai toujours eu un travail à côté car je n’ai jamais voulu dépendre du public et du marché de la vente. »
Constamment dans l’approfondissement de son savoir-faire, celui que l’on nomme « l’homme qui coud les pierres » se renouvelle sans cesse à travers sa pratique créative.
« Obligatoirement, il y a plusieurs voies que j’explore simultanément. »
Dans son antre, nous contemplons des œuvres alliant la maîtrise et le hasard.
« La nature est une autodestruction permanente, pour reconstruire quelque chose de nouveau. Si tu arrives à rester enthousiaste, la vie devient plus intéressante au fil des expériences, et donc du temps. »
1 : La déesse, maîtresse des lieux, Maai a Ruahine, appelée aussi MooTua Raha (lézard) était une femme à la tombée de la nuit, mais à l’aurore, elle prenait l’apparence d’un lézard au dos large. Au coucher du soleil, la déesse Maai a Ruahine attirait à elle tout homme pour l’amour. Elle était une femme à ce moment-là.
Rédactrice
©Photos : Cartouche & Jean-Paul Forest pour Hommes de Polynésie
Directeur des publications : Yvon Bardes