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Art & Culture

Guillaume Iotefa : sous l’iceberg Koh-Lanta, un homme pluriel et profond

Publié le 13 septembre 2023

Côté pile, Guillaume Iotefa est le célèbre sculpteur du jeu télévisé Koh-Lanta. Côté face, cet enfant de Raiatea est un maître-artisan au service de détenus pénitentiaires et de jeunes en décrochage scolaire. À 41 ans, Guillaume partage avec Hommes de Polynésie les étapes de son long et patient parcours d’apprentissage.

Déconcertant, c’est le mot qui vient au premier abord. Ce Polynésien à la chevelure blonde crêpue et au regard clair s’impose par une présence massive mais s’exprime d’une voix soyeuse. Il sculpte, peint, grave, pyrograve aussi bien le bois, la pierre que l’os. Nourri de références littéraires et historiques qui vont du Nordique Odin aux antiques Stoïciens en passant par les tahu’a, ces experts ancestraux en médecine, construction, religion…, Guillaume a pris le temps de l’infusion.

Le globe-trotting, une source d’inspiration

S’il a bénéficié d’une solide formation, au Centre des métiers d’arts de Tahiti (en 2006) et à l’École de bijouterie-joaillerie Saint-Joseph de Punaauia, c’est plus son « cheminement » — au sens propre comme au figuré —, qu’il considère comme essentiel dans sa maîtrise actuelle.

« De 23 à 35 ans, j’ai parcouru le monde avec ma mallette de tatoueur, et aussi en tant qu’informaticien et chauffeur poids-lourd. Nouvelle-Zélande, Canada, Espagne… partout, je me suis beaucoup exercé, j’ai dessiné, gravé, sculpté sans relâche ; cet entrainement continu m’a forgé. »

Aujourd’hui, Guillaume manie aussi bien l’outillage mécanique que manuel, faisant feu de tout bois : meuleuse, perceuse, tronçonneuse, scie-sauteuse… mais aussi tournevis, ciseaux à bois ou échoppes.

« Je peux travailler autant avec que sans électricité. Ce que je ferais en une semaine à la main, je le réalise en une matinée à la machine. »

Le marae Taputapuatea, à Raiatea, accueille certaines des créations de Guillaume Iotefa à l’occasion de cérémonies.

250 pièces sculptées en deux mois !

Ces longues heures de pratique expliquent sa rapidité d’exécution. Elle fut notamment une des clés de sa réussite en tant que sculpteur pour l’émission Koh-Lanta.

« Quand l’équipe de tournage est arrivée à Raiatea, on m’a d’office contacté car j’avais déjà une certaine réputation à TF1. J’ai donc signé pour les deux saisons tournées sur Taha’a en 2019 et 2020. »

Pour ce jeu télévisé, Guillaume a envoyé du bois ! Couteaux, colliers, pirogues, tiki, jeux et les emblématiques totems, en tout, l’artisan a sculpté ou décoré environ 250 pièces par saison ! De son aveu, c’était énorme car il créait au jour le jour, au fur et à mesure que l’émission se tournait. L’artisan excelle également dans le travail de la pierre.

« La pierre, ma matière préférée »

Bâton de roi surmonté d’une pieuvre, l’animal totem de Guillaume Iotefa.

Les montagnes de Raiatea, qu’il s’agisse du mont Temehani avec ses déclinaisons de basalte, roche volcanique, granit, cristaux, ou bien du Tapioi, riche en basalte et en gisements d’ardoise, lui fournissent sa matière première.

« Certaines maisons ainsi que l’église adventiste et le dispensaire de Uturoa sont en partie édifiés en ardoise. Mon grand-père taillait cette matière prestigieuse, malheureusement, j’étais trop petit pour apprendre. Aujourd’hui, je le regrette car le métier de tailleur de pierre a disparu. »

Les sculptures en os que Guillaume propose proviennent aussi du fond des vallées ou des montagnes.

« Avant, je me fournissais en os à l’abattoir de district de Tepua. Depuis sa fermeture, je cherche moi-même des os d’animaux en forêt. Au Tapioi, il y a encore des chevaux et des bovins sauvages. J’y trouve des cornes de vache, de taureau, des ossements de cadavres. Parfois, j’interroge les chasseurs qui, ayant découvert un cheval mort, l’ont enterré pour éviter les maladies. Ils m’indiquent l’endroit et, à coups de pelle et de pioche, je déniche le squelette. »

Sculpture en os faisant apparaître, en haut, la matière brute et Totem de Koh Lanta.

L’art du trompe-l’oeil

En 2022, Guillaume obtient le statut de maître-artisan, une véritable consécration d’autant que le titre n’est attribué qu’à une poignée d’élus au Fenua. Ainsi, l’artiste travaille avec plusieurs musées sur le Territoire comme à l’étranger.

« J’ai développé la fonction de copiste, savoir-faire très demandé. Je crée des reliques qui sont soit vendues à des collectionneurs, soit à des musées. Dans tous les cas, cela protège les œuvres historiques. Ce peut être des reproductions d’hameçons, un bâton royal ou encore le grand umete (1) de Maupiti. Je vieillis le bois en fonction de l’ancienneté recherchée par le client. L’objet doit paraître usé, abîmé, je le plonge même dans la vase environ trois mois durant lesquels la nature fait son œuvre. L’objet obtenu est d’une grande beauté. »

La formation est devenue sa vocation

Influences nordiques pour ce spirit-wood, haut-relief en pierre travaillé principalement à la meuleuse.

En tant que maître-artisan, Guillaume a pour mission de transmettre son savoir-faire. Il intervient, entre autres, au lycée professionnel de Uturoa auprès de jeunes en décrochage scolaire, à la prison de Raiatea ainsi qu’au centre de détention de Tatutu, à Papeari.

« Avant j’étais puni car je griffonnais en classe. Aujourd’hui, j’encourage ces jeunes à faire fonctionner leur imaginaire par le crayon, en s’inspirant de récits, contes et légendes. Du dessin, je les fais passer à la pyrogravure puis à la sculpture et à bien d’autres arts. Je suis fier de mes élèves, l’un d’eux sur Huahine s’est mis dans le travail de la pierre, ce qu’il fait est très beau. Et un autre à Faaroa est devenu tatoueur professionnel. »

Cet éducateur populaire se bat pour stimuler la créativité de ses élèves, cela commence par poser son Vini. Selon lui, pour promouvoir l’âme de son peuple, le maître-mot est la fierté.

« Si tu es fier de toi, de ce que tu représentes, tu combattras toujours pour ta culture. »

1 Récipient en bois sculpté.

 

Gaëlle Poyade

Rédactrice

©Photos : Gaëlle Poyade pour Hommes de Polynésie

Directeur des Publications : Yvon BARDES

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