Anituavau : la danse dans la cuisine
Quand il a commencé le lycée hôtelier en 2003, Anituavau ne pensait pas que sa vie allait tourner autour de l’art culinaire. Au fil du temps, il a fait de la gastronomie sa passion et au gré des expériences la cuisine est devenue sa force. Aujourd’hui, Ani, chef de cuisine, reçoit Hommes de Polynésie au Meherio Tahitian Bistro pour nous conter sa raison d’être qui se lie intimement à la nouvelle carte de l’établissement.
Une jeunesse dissipée
Ani passe la plus grande partie de sa jeunesse entre les îles Marquises et la presqu’île.
« Bien qu’aujourd’hui j’habite Punaauia, j’ai grandi un peu partout en Polynésie. Mon père est français et marquisien et ma mère marquisienne. »
Durant son adolescence, Ani ne se sent pas à sa place lors de son cursus scolaire classique. Et au départ, il s’inscrit au lycée hôtelier par nécessité.
« Quand j’ai commencé, c’était pour suivre les amis. C’est en allant travailler pendant mes stages que j’ai vraiment appris à aimer le métier. J’avais besoin de ce côté cadré, hiérarchique, comme à l’armée, car j’étais un peu dissipé. »
« J’ai joué dans le film « Le Prince du Pacifique » quand j’étais jeune. Pendant longtemps, les gens me charriaient, ils se moquaient de moi. Je pense qu’ils étaient jaloux. Moi je voulais juste m’en sortir. »
Loin des railleries et du malaise, sa place dans le monde professionnel de la cuisine, il va se la frayer avec détermination.
De la formation à l’enseignement
À 17 ans à peine, Ani entame sa carrière derrière les fourneaux. Il démarre en bas de chaine, mais vite, il monte en grade.
« Durant mes 3 dernières années à l’Intercontinental, j’étais chef des banquets. Ça a été un bon apprentissage. J’y ai appris le métier avec des chefs étoilés comme Marc Haeberlin de l’Auberge de L’Ill. »
Désormais père et correctement formé, en 2011, il débute au Manava, un restaurant semi-gastronomique, en tant que chef de partie. Au Manava, sa formule plait et il devient sous-chef junior.
« Je suis ensuite parti aux Tuamotu pour travailler au Kia Ora à Rangiroa. J’étais chef de partie. J’allais en bateau au boulot, c’était vraiment cool. »
Quelques établissements plus tard, au bord du burnout, Ani fait une pause et se lance dans l’éducation.
« J’ai failli faire un AVC à l’âge de 25 ans. Je travaillais trop. J’ai changé de voie en faisant professeur au CJA de Tautira. J’ai appris à être plus pédagogue dans mon travail et à prendre un peu de recul. »
Puis au CFPA, il enseigne aux adultes tout en profitant de l’occasion pour obtenir son BAC.
« J’ai passé mon BAC en VAE1 à 30 ans, car je n’avais jamais eu le temps de le faire avant. À l’issue de l’enseignement, je me suis dit que c’était fini les vacances et qu’il fallait que je repasse derrière les fourneaux. »
Loin de la presqu’île, un projet se monte et fait écho chez le jeune chef. Il rejoint alors l’équipage du Meherio Tahitian Bistro, un restaurant qui offre une vue imprenable sur la vibrante activité du port autonome.
La créativité à la carte
« Je suis au Meherio depuis l’ouverture. J’ai commencé en tant que second de cuisine. Et depuis un peu plus d’un mois, j’ai pris le poste de chef cuisinier. »
Grâce à ses 15 années d’expérience, Ani affirme sa personne et son aspect artistique est mis en lumière dans la nouvelle carte du Meherio.
« Le côté artistique de la cuisine me plait énormément. Je fais de la danse depuis des années, c’est ma deuxième passion avec la cuisine. J’aime la création, quand c’est bien dressé et composé avec les couleurs. J’adore le dessin, les tatouages. Je retrouve tout cela dans ma cuisine. Le mélange des saveurs et la promotion de nos produits locaux s’apparentent à la mise en avant de ma culture au travers de la danse. »
Avec la nouvelle carte bistro et une carte un peu plus élaborée faisant place à des plats signatures, les choix sont élargis.
« La carte sera un peu plus accessible, les gens s’y retrouveront, car on a également revu nos prix. »
Dans chacun des plats que propose le Meherio, au moins un élément ou un produit local trône. Du sel fin de Rangiroa ou Bora Bora, en passant par le pastis de Moorea pour flamber les crevettes, ou encore le vin blanc de Rangiroa, sans oublier les ravioles de korori et bien d’autres, la Polynésie se retrouve plongée dans l’assiette.
« On essaye de ressusciter les produits un peu oubliés comme l’amande de autera’a, la crème de taro citronnée au miel… Quand tu arrives au stade où tu peux créer, les choses deviennent intéressantes. »
Et avec les buffets en ligne de mire, Ani s’accapare la cuisine de son enfance et celle qu’il souhaite créer de toute pièce.
« J’aime bien proposer des mets qui sortent un peu de l’ordinaire, travailler des produits locaux avec des techniques de cuisine française. La cuisine française, c’est la base de ma formation et c’est également mes origines. Je prépare aussi les plats locaux de notre enfance. Et quand c’est du poisson, c’est livré par les pêcheurs juste devant sur le quai. »
« C’est une profession qui demande beaucoup de temps, d’énergie et surtout de passion. Mais c’est aussi un métier valorisant. Je suis jeune, local et je suis chef. »
Et quand Ani nous dévoile sa vision du futur, c’est une fois de plus dans la création qu’il se projette avec un restaurant à son nom. Tel un regard sur le jeune qu’il a été, il partage.
« Ayant travaillé avec des adolescents pendant longtemps, je sais que rien n’est impossible. Tout dépend de la volonté. Il leur faut un métier qui leur donne de la valeur. Quand j’étais à l’école, mes professeurs ne voyaient pas forcément quelqu’un qui allait aller loin dans la cuisine. Et pourtant je suis mes envies chaque jour pour aller toujours plus loin dans ma passion… »
1 Validation des Acquis de l’Expérience
Rédacteur
©Photos : Meherio Tahitian Bistro et Niuhiti Gerbier pour Hommes de Polynésie