Un poisson nommé Teava
Avant son entrainement d’apnée, Teava Nui Barrier donne rendez-vous à Hommes de Polynésie à la piscine de Uturoa. Aussi tenace qu’une murène mais plus affable qu’un poisson-clown, ce chasseur sous-marin exalté nous raconte comment et pourquoi il a plongé dans ce sport-passion.
C’est en côtoyant Roger Nanai, le neveu du très grand champion Francis Nanai, que cet ancien surfeur a été ferré par le goût de la chasse sous-marine.
«Avec lui, j’ai énormément progressé de sorte qu’en 2014, quand le concours international Oceania s’est déroulé en Polynésie, et que j’ai prêté mon bateau, j’ai vu de près les compétiteurs : j’ai carrément accroché !»
Se vider l’esprit à coup sûr
« Quand j’allais surfer Taapuna, à Tahiti, j’en revenais parfois énervé : il y avait trop de monde dans la passe. En pêche sous-marine, chaque fois tu ressors de l’eau zen. Moi, j’ai besoin de quiétude, de me vider l’esprit. En plus, c’est peut-être le seul sport d’où tu rentres avec de quoi manger ! Le perroquet, le pāraha pēue très fort en goût, (1), le apai… j’en mange tous les jours. »
S’entrainer au large
Teava fait partie du club des Black Fins. Lui et son binôme Michel Williams, 35 ans, ainsi que le tandem Taumata Tixier et son fils Mahana représentent Raiatea en compétition. Pour s’entrainer, Teava pêche à l’extérieur du lagon, à une trentaine de mètres de la barrière de corail. Sur une profondeur de 20 m, il connait chaque caillou de Maupiti, Raiatea, Taha’a et Bora-Bora. Ses débuts en compétition datent de 2017, année où il remporte le championnat de Polynésie en catégorie Novice avant de rejoindre les Experts l’année suivante.
Oceania, le championnat du Pacifique
En mai 2023, l’équipe polynésienne se classe 3 e aux Oceania de Nouvelle Calédonie ; Teava et ses co-équipiers sortent de l’eau 17 prises, sachant que le gagnant est celui qui pêche le plus de poissons mais aussi qui ramène une diversité d’espèces. Les conditions météo sont hélas détestables au point que la 2e journée est annulée, offrant la victoire aux Calédoniens.
« J’étais déçu mais pas mécontent que ça s’arrête car le clapot était si fort que, dans le lagon immense de Nouméa, je ne voyais plus mon co-équipier. Et puis les attaques de requins bouledogue ne sont pas une légende là-bas. Je nageais en regardant autant devant que derrière moi ! Au Fenua, on n’a pas ce genre de souci. »
Pas de repos pour les braves ! Les qualifications pour les Oceania 2024 ont déjà commencé avec une ultime épreuve les 22 et 23 juillet à l’issue de laquelle deux équipes polynésiennes — sur les 6 en lice — obtiendront le sésame pour la Nouvelle Zélande. Si la Polynésie ne compte qu’une dizaine de compétiteurs, ceux-ci sont d’un très haut niveau, comme le précise Teava qui ne cache pas son admiration pour ces hommes et femmes exceptionnels.
« Dans quasiment toutes les équipes, au moins l’un des membres a participé au Mondial de chasse sous-marine. Maui Taea, qui est très fort, a une chance de se classer dans les 10 premiers au championnat du monde ! Il faut savoir qu’à l’exception d’un ou deux, aucun de nous n’est professionnel, on a un boulot à côté (2). Par contre, certaines nations, les Espagnols par exemple, vivent de leur sport. Ils sont payés par des firmes et disposent de moyens conséquents. C’est difficile de concurrencer de telles équipes. Mais eux, s’ils ne montent pas sur la première marche du podium, ils font la gueule ! »
Teava part d’un grand rire qui signifie que, de son côté, ce n’est pas la gagne qui l’anime mais la passion. En toute humilité.
« Chasser en Nouvelle Calédonie, à Guam ou en Nouvelle Zélande grâce à une organisation, cela n’a rien à voir avec un voyage touristique. Tu as accès à des coins perdus, inaccessibles. En Australie, lors de l’Oceania, nous sommes allés à Eden, un petit village tout au sud, près de la Tasmanie. On a pêché avec les meilleurs d’Australie, chez eux, dans leur pays, c’était grandiose ! »
Sur le territoire de Polynésie française, Teava participe aussi à la Blue water, un championnat assez récent organisés par les clubs locaux, Tefana de Faa’a ou encore Heke de Papeari. Ici, la pêche est pélagique : thon, espadon (ha’urā), carangue arc-en-ciel (roeroe), dorade coryphène (mahi-mahi), etc.
Le chasseur polynésien est un rapide
À force de voyager, Teava s’est fait une idée de la « polynesian touch », de ce qui fait la singularité de la chasse sous-marine dans son propre pays.
« En Polynésie, l’ensemble de la population chasse de sorte que le poisson est très fuyant. Par conséquent, nous, les chasseurs locaux, sommes très rapides. En Australie, la plupart des gens sont des éleveurs de bétail si bien que le poisson te regarde droit dans les yeux comme s’il n’avait jamais vu l’homme ! »
Ces pêches a priori faciles comportent des difficultés. Teava raconte le cas du nannygai, une sorte de vivaneau australien qui était rouge sur la photo de présentation. Il ne l’a jamais trouvé, et pour cause : vivant, ce poisson avait une livrée grise ! Sacrés malins ces animaux qui changent d’aspect en fonction de leur état, de leur âge ou bien du danger. Le chasseur ne l’est pas moins variant ses techniques de pêche : agachon, fourchette, bruit de glotte…
« La pêche à la fourchette, c’est typique tahitien. On place une fourche sous le canon du fusil sur laquelle on accroche le poisson qu’on vient de tirer. Celui-ci va attirer naturellement ses congénères. J’utilise assez peu cette technique car il faut rester immobile au fond. Même si je fais des apnées d’environ 2 mn, je préfère la pêche active, en nageant. »
Tirer… et savoir se retenir
De ses pêches, Teava ramène perroquets, nasons et rougets qui, foisonnants, lui permettent d’ajuster ses frappes. Le bec-de-canne et la daurade tropicale (mū), très compliqués à flécher, sont un challenge pour lui. En revanche, le Napoléon et la loche saumonée, qui sont mangés à Raiatea, ne rentrent pas en compétition. En raison d’une ressource en baisse ? Teava l’ignore tout en étant sensible à la raréfaction du poisson.
« Roger Nanai, qui a observé le déclin des espèces, m’a de suite enseigné la préservation de la ressource. Dans un banc, tu prélèves un ou deux spécimens et ensuite tu changes de spot, me disait-il. Sauf que, en tant que compétiteur, j’ai besoin de tirer pour exercer mon adresse. Sur un caillou, quand je vois la pénurie d’une espèce, cela me contrarie, j’aimerais tirer pour m’entrainer mais, non ! je passe. Par contre, à Tahiti, je chasse ce que je trouve…»
La sécurité avant tout
Ce virus de la pêche, Teava l’a transmis à son fils de 14 ans tout en lui enseignant les règles essentielles de prudence car ce papa est également formateur en sécurité pour les activités subaquatiques.
« Depuis 2 ans, j’emmène mon garçon à chaque formation sécurité. Il est capable de sauver quelqu’un car il connaît tous les gestes. Mais je suis obligé de le freiner sinon il descendrait à vingt mètres ! Ils sont en super forme nos jeunes ! »
À 46 ans, Teava a aussi la pêche d’un grand sportif ; sans doute sa curiosité et son envie d’apprendre par tous les moyens le maintiennent-ils dans un bain de Jouvence.
¹ Soldat armé, famille des poissons-écureils.
² Teava est chef réseau au sein de Te Uira Api no te Mau Motu, la société publique qui gère le service public d’électricité à Huahine, Taha’a et Raiatea.
Rédactrice
©Photos : Gaëlle Poyade et Black Fins Raiatea pour Hommes de Polynésie
Yvon Bardes, directeur de publication