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Société

Derrière les barreaux

Publié le 22 février 2022

Hommes de Polynésie le rencontre peu après sa sortie de prison. Son bracelet électronique enserre sa cheville, la peine se poursuit hors les murs. Il semble comme abasourdi, vient de passer d’un monde extrême à l’autre et se réapproprie lentement sa liberté oubliée. Il nous confie ce qui l’a mené à l’incarcération, son vécu derrière les barreaux, et ce qui l’a fait changer aujourd’hui. Un portrait saisissant rempli de force et d’espoir.

NUUTANIA

« Quand j’ai quitté le monde de l’équitation, la complicité avec mon cheval, le lien avec la nature, une solitude douloureuse s’est creusée en moi. Le forage s’est fait plus profond suite à une peine de cœur et une mésentente avec ma famille.

 

J’ai basculé dans l’oisiveté et mon esprit festif a chapeauté le tout : j’ai comblé mon vide avec l’ice1. Je suis devenu artificiellement heureux. J’ai commencé à vendre du crystal meth à mes compagnons de fête. Je me sentais bien et fort.

« En une nuit, je me suis retrouvé en prison. Je n’ai rien compris et rapidement j’en ai voulu à la terre entière. »

Je suis arrivé à minuit à Nuutania, la peur au ventre, dans la vétusté sombre et sauvage d’un lieu redouté. J’ai partagé la cellule d’un inconnu, j’ai dû m’y doucher en occultant l’absence de rideau, j’ai vu des meutes de rats circuler. Je suis resté huit mois à Nuutania. J’y ai trouvé le temps très long. 

 

Drogué dans toutes les cellules de mon corps, j’ai fait un sevrage brutal, douloureux, obligé. J’ai pensé au suicide. J’ai demandé une aide psychologique.

« Nuutania, c’est une sacrée leçon de vie. Je n’ai vu que le bleu du ciel, le gris du béton et celui des barreaux. »

TATUTU

« À ma sortie de Nuutania et après six mois de bracelet électronique, deux ans d’enquête puis le jugement, j’ai été transféré à Tatutu. 

« Entre ces deux prisons, c’est le jour et la nuit ! »

Tatutu est une belle prison moderne entourée d’un jardin fleuri, les locaux sont propres, les barreaux rares ou peints en blanc. Le détenu s’y sent respecté et son autonomie est encouragée.

J’ai vécu treize mois au Centre de Détention Ouvert (CDO). J’avais la liberté de sortir de ma cellule durant la journée et de circuler dans tous les bâtiments. Je suivais scrupuleusement les règles internes pour mériter cette chance, éviter le Centre de Détention Encadré (CDE) et espérer un aménagement de peine. J’ai appris à n’avoir aucun pouvoir de décision sur ma sortie.

« La privation de liberté, c’est horrible, une souffrance énorme. »

Vivre ensemble est compliqué, il faut savoir prendre sur soi. Le pire est d’être séparé de sa famille. Mes proches ne pouvaient pas venir souvent à cause de l’éloignement de Tatutu. Il était donc vital de s’occuper l’esprit. 

 

En CDO, le détenu doit établir un planning de 25 heures par semaine, avec différents types de formations, activités et sports. Le temps passe plus vite et nous prépare de manière constructive pour la sortie en plus du travail des intervenants. Je suis reconnaissant envers l’équipe des mūto’i2 et des soignants. »

SORTIE DE PRISON

« J’attendais ce jour depuis longtemps. Quand les portes du pénitencier se sont ouvertes devant moi, j’ai pleuré. Comme à mon arrivée il y a 28 mois. Je regardais derrière moi, ce que je laissais et connaissais, et devant moi, l’inconnu, ma nouvelle liberté. Je me sentais perdu, comme étourdi.

« Le combat commence à la sortie de prison. On n’est plus rien, tout est à reconstruire. »

Mes biens ont été saisis par la justice. J’ai dû retourner vivre chez mes parents, reconquérir la confiance de mes proches, faire mes preuves à mon nouveau travail. Cela fait partie de ma peine. J’ai perdu de nombreux amis mais les vrais sont restés et me soutiennent.

« J’ai beaucoup réfléchi en prison. J’ai mesuré la portée de mes actes et leurs conséquences. Mes trois piliers pour tenir sont le travail, le sport et les fréquentations. »

Le risque de récidive3 à la sortie est énorme. Il faut être fort pour changer ses fréquentations, ses loisirs, presque sa vie tout entière. Avoir un bon comportement paie. Pendant et après la prison. Je dois porter un bracelet électronique pour quinze mois encore. C’est lourd. Hors les murs de Tatutu, je reste en prison dans ma tête. »

« Pour moi la vraie liberté, c’est de ne plus avoir de problèmes avec la justice. J’ai eu du mal à remonter la pente, mais je veux être persévérant car une autre chance m’est offerte. »

Les émotions de l’enfermement ont ressurgi. La prison marque à vie. Mais l’homme nous quitte empli d’un nouvel espoir, d’une force insoupçonnée et d’une nouvelle sagesse. Conscient comme jamais de tenir son sort entre ses mains.

1 Méthamphétamine, drogue de synthèse extrêmement addictive.

2  Policier

3 La récidive légale entraîne une aggravation de la répression de la seconde infraction qui peut aller jusqu’au doublement de la peine.

Doris Ramseyer

Rédactrice

©Photos : Doris Ramseyer pour Hommes de Polynésie

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