
Jems Torii, graver la nacre et la peau
Les vagues de la passe d’Avatoru résonnent dans la servitude où Jems Torii a installé son atelier de tatouage. Sur l’atoll de Rangiroa aux Tuamotu, cet artiste a gravé dans le bois, dans la nacre et sur la peau ses dessins sans cesse renouvelés. Hommes de Polynésie a rencontré ce passionné de dessin qui célèbre la culture des archipels à travers son travail.
Un homme du Pacifique
Jems Torii, qui se considère aujourd’hui Paumotu, est bel et bien un homme du Pacifique : né à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, d’un père tahitien et d’une mère paumotu, il prend racine en Polynésie.
« Quand j’ai eu 9 ans, nous sommes rentrés à Tahiti. Rapidement, à 16 ans, je suis allé à Rangiroa, l’île de ma mère : je voulais sortir de la maison, faire ma propre vie. »

C’est à Rangiroa qu’il s’établit et commence sa carrière dans l’artisanat :
« Je me suis lancé dans la sculpture sur bois, sur os, sur nacre, j’ai appris comme ça, tout seul. Puis je suis revenu à Tahiti pour apprendre : j’ai entendu qu’il y avait une école[1]. Je suis parti aux beaux arts pour me perfectionner en sculpture. »
Féru de dessin et de technique, il complète sa formation en apprenant les motifs polynésiens :
« À l’âge de 19 ans, à Tahiti, j’ai été avec les anciens qui sont sur les marae, et eux, ils connaissaient l’histoire des tatouages, alors c’est eux qui m’ont appris à connaître cette histoire. »
Sorti de l’école, Jems retourne à Rangiroa pour transmettre ce qu’il a appris.
« À mon retour en 2017, j’ai ouvert une section arts au collège pour apprendre aux élèves la gravure sur nacre avec 3 classes. Ensuite, j’ai fait des cours aussi de peinture sur pāreu. Il faut que nos enfants aux Tuamotu, au lieu de jeter leur nacre dans la mer ou dans la terre, apprennent qu’ils peuvent la travailler. Ils vont gagner deux produits : la perle et la nacre. »
Son projet rencontre du succès car les enfants s’y épanouissent, tant et si bien que certains anciens élèves travaillent aujourd’hui dans ce domaine. Bien installé sur son île, Jems œuvre ainsi au rayonnement de l’artisanat à travers la gravure et le tatouage.

Graver et encrer
De retour au fenua après s’être rendu dans l’Hexagone à cause d’un problème de santé, Jems décide de laisser de côté la gravure pour se consacre entièrement au tatouage. Il ouvre son shop : Rangiroa Tatoos.
« J’ai commencé jeune, tout seul. D’abord avec des os d’oiseau, de cochon, et je me suis mis progressivement à la machine. J’avais d’abord une machine modifiée et depuis 6 ans, je suis passé à la machine électrique. »

Le tatoueur rencontre beaucoup de succès sur son île et participe à une convention de tatouage en 2013. Selon lui, tatouer consiste, pour lui et pour le client, à graver une histoire.
« Chaque personne a son histoire. Moi, je travaille les motifs des cinq archipels pour raconter celle de chaque client. Voyage, famille, mariage, enfants, ou même décès… Ils me racontent leur vie et je la mets sur leur corps. C’est leur histoire. »
Ainsi, dans le tatouage, chaque élément prend un sens. Il nous raconte que les motifs principaux prisés par les plongeurs ont aussi une signification : le requin protège l’homme, le dauphin symbolise le voyageur, la raie manta renvoie à la beauté… À partir de ces dessins, le tatoueur intègre des motifs tout aussi significatifs.
« En motif paumotu, on a la tresse. C’est la tresse de nī’au qui est partout ici : pour faire la maison, pour le panier, le plat pour manger. Elle fait partie de notre vie. »
Ce qui nous marque dans le discours de ce passionné, c’est la combinaison équilibrée entre sa connaissance des motifs traditionnels et l’exercice de style du dessin.
« Mes dessins ont évolué, je change ma façon de tatouer. Je prends les motifs du livre traditionnel [2], et je me les approprie. Comme ça, ils sont uniques. Par exemple, dans des dessins géométriques, je joue sur les courbes pour apporter plus de rondeur. »
Graver et tatouer lui permettent ainsi de célébrer sa culture, d’en pérenniser à la fois les symboles et les motifs.

Travail et passion
« Quand j’étais plus jeune, je travaillais dans le bâtiment. À chaque fois que je voyais un mur blanc, il fallait que je le tague et mon papa était fatigué de repeindre les murs, il me mettait dehors en m’encourageant à tracer ma propre voie. J’ai appris tout seul pour faire de mon côté. »

Passionné de dessin, Jems éprouve la frénésie créatrice. Autodidacte, il aspire à une création sans cesse renouvelée, à un perfectionnement sans fin. Il place le dessin en priorité dans la création. Pour être tatoueur, selon lui, il faut à la fois beaucoup aimer le dessin mais aussi sa culture, et s’en imprégner.
« Ce n’est pas facile : je travaille beaucoup. Mais pour travailler autant, il faut aimer ce que l’on fait. Il faut toujours vouloir se perfectionner, viser l’unique. Ne pas faire un copier-coller. C’est ça qui me passionne : créer.»
C’est avec ces dernières paroles que notre artiste encourage tous les dessinateurs, débutants ou confirmés, ainsi que tous ceux qui veulent travailler dans l’univers du tatouage :
« Il faut aimer le dessin et notre culture, celle de la Polynésie et celle de France, pour créer et se renouveler.»

Rédactrice
©Photos : Marie Lecrosnier–Wittkowsky pour Hommes de Polynésie
Directeur de publications : Yvon Bardes