Tereva Teihoarii, le Bioman de Raiatea
À 25 ans, Tereva a une idée très précise de son avenir professionnel. Il sera agricole et bio. Hommes de Polynésie est allé à la rencontre de ce jeune animateur de l’association Bio Fetia.
« Depuis tout petit, j’ai grandi dans le milieu agricole. Tous les jours, avec mes parents, j’allais au fa’apu pour nourrir la famille. J’ai toujours voulu rester en contact avec la terre. . »
Après un BTS agricole à Moorea, Tereva, originaire de Tiarei, multiplie les emplois, à la Chambre de l’agriculture et de la pêche lagonaire (CAPL), puis comme chef de rayon chez ACE, magasin de fournitures et d’outillage agricoles et, par la suite, chez Agritech. Mais, c’est en 2019 que sa carrière prend le virage du bio avec son embauche au sein de Bio Fetia.
SPG Bio Fetia
SPG (1) Bio Fetia est une association qui réunit agriculteurs bio et consommateurs. Sa mission est de contrôler les agriculteurs et transformateurs qui souhaitent obtenir le label Bio Pasifika en vérifiant qu’ils respectent la Norme océanienne de l’agriculture biologique (2). Cette norme reprend les principes de l’agriculture biologique : préservation de la biodiversité, fertilité des sols, conservation de l’eau, interdiction des OGM et de tout produit chimique de synthèse, engrais ou pesticides…
Animateur de l'antenne de Raiatea
En 2022, pour répondre à l’augmentation du nombre de certifications bio sur Raiatea, Tereva est muté sur l’île sacrée. Sa mission ? Accompagner les agriculteurs dans leurs démarches pour obtenir le label bio et former les adhérents de Bio Fetia pour qu’ils réalisent l’inspection des fermes chaque année. En 2022, 18 certificats Bio Pasifika ont été délivrés à Raiatea, 23 aux Iles-sous-le-Vent et 77 en Polynésie française. L’île est de loin la plus active avec, cette année, 12 nouveaux agriculteurs bio ! Les cultures fruitières et les vivrières sont les plus représentées mais on trouve aussi du miel, du gingembre, de la vanille, du pain, des huiles de tamanu et de coco biologiques.
« Les agriculteurs ici sont super motivés ; ils accueillent volontiers des écoles dans leur fa’apu. Souvent, ils le font de leur propre initiative, sans même mon intervention car ils sont carrément passionnés ! »
Les fermes de Raiatea sont de taille modeste (entre 5000 m² et 2 ha), à l’exception de l’entreprise Vaihuti Fresh de près de 7 ha. Cette ferme de référence en permaculture est un des piliers de l’association Bio Fetia qui est vice-présidée par Thierry Lison de Loma, le co-fondateur de Vaihuti Fresh.
Trouver des solutions
« La plus grosse difficulté c’est la paperasse, alors je suis là pour aider les agriculteurs à remplir les formulaires, monter les dossiers. De façon plus générale, l’accès au foncier est également un frein car tout le monde n’hérite pas d’une parcelle de terre. Mais il existe les terres domaniales de la DAG qui se louent à des prix super intéressants. Beaucoup de lots, jadis gelés, vont être distribués prochainement. »
Côté culture, hormis les rendements généralement inférieurs en bio, le maraichage est le plus complexe à maitriser en bio à cause de l’enherbement et des ravageurs.
« Un agriculteur conventionnel s’en sort avec un bidon d’herbicide qui résout le problème en une heure. En bio, le désherbage est manuel, c’est pénible physiquement et très coûteux dès qu’on doit payer une main d’œuvre. »
Certaines difficultés sont aussi dues à l’isolement insulaire qui prive les agriculteurs de solutions dans le domaine du recyclage et de gestion des déchets.
« Je me rappelle d’un cultivateur qui avait eu l’idée de planter dans des pneus, dans une perspective de recyclage, croyant bien faire. Et d’un autre qui avait un vieux tracteur qui pourrissait chez lui. Dans les deux cas, à cause de la pollution, ce n’est pas possible d’obtenir la certification bio. Le problème, c’est que ces agriculteurs ne savent pas comment s’en débarrasser. »
En effet, question déchets, l’île de Raiatea est au pied du mur. Depuis juillet 2022, la communauté de communes a cessé de ramasser les encombrants : carcasses de voitures, engins de débroussaillage hors service, électroménager cassé, etc. Ces dépotoirs épars pourraient devenir un frein à des conversions en bio.
Bio et naturel, quelle différence ?
Tereva a aussi un rôle d’information car certains pensent que l’étiquette bio est superflue puisque l’agriculture polynésienne, traditionnellement sans intrant, ne donne, à l’évidence, que des produits naturels.
« Ce genre de remarque s’entend souvent chez des producteurs vivriers qui cultivent des espèces locales comme les taro, les fei, des plantes totalement adaptées à notre climat et qui poussent plus facilement sans coup de pouce. Cependant, il arrive que des engrais chimiques soient apportés pour booster la croissance. Les consommateurs pensent aussi que les fruits, de façon générale, ne sont pas traités mais l’utilisation de désherbant au pied des arbres est une pratique courante. Par conséquent, parler de cultures « naturelles » n’offre aucune garantie au consommateur. Il n’y a que le label qui certifie l’absence totale de produits chimiques. »
Motivé !
« Ce que j’aime dans mon métier, c’est aider les autres. Quand tu vois tes agriculteurs heureux parce qu’ils ont obtenu le label, quand tu les aides à valoriser leur travail, c’est gratifiant. Mon travail, c’est que de la reconnaissance. L’agriculture bio est en plein développement. Soutenir cette filière, c’est plus un challenge par rapport à la filière classique. Ça fait du bien de savoir que tu participes au développement durable de ta Polynésie. »
(1) Système participatif de garantie
(2) NOAB