Olivier Pôté : aider les autres à s’émanciper
Hommes de Polynésie embarque pour Moorea à la rencontre d’Olivier Pôté, féru de nature, dont le quotidien est rythmé par l’environnement et la solidarité. Aujourd’hui, c’est devant un des aquariums du Fare Natura que nous le retrouvons. On pourrait écouter durant des heures ce passionné, qui, le temps d’un après-midi, revient sur son parcours dédié à l’insertion et à l’émancipation.
Regarder les plantes pousser
Des orchidées, des plantes partout dans la maison… Enfant, il sème, il collectionne. Olivier pousse en observant les plantes. Adulte, cette fascination ne l’a pas quitté.
« Je fais mon tour du jardin tous les jours. C’est beau. J’aime bien voir les choses évoluer. Tu vois que les choses poussent à leurs rythmes. Lentement. Ça a un côté magique. »
Olivier évolue dans un climat propice à la curiosité et aux études. Ses parents, professeurs tous les deux, lui apprennent à mesurer cette chance.
« Cette chance-là il va falloir la donner à d’autres. On ne peut pas progresser tout seul, on ne progresse que tous ensemble. »
À sa sortie du lycée, il se dirige vers une école d’ingénieur en agriculture et consacre son mémoire de fin d’études à la réinsertion par l’agriculture. Une graine est semée pour l’environnement, une autre pour la solidarité, elles vont guider les choix de parcours d’Olivier.
Penser la liberté, une valeur collective
Son travail de recherche ne passe pas inaperçu et lui ouvre les portes de l’Adie1. Cette association accompagne par le microcrédit des porteurs de projet exclus du crédit bancaire traditionnel. Pendant plusieurs années, Olivier y mène des expérimentations et des projets sur le terrain en zone rurale. Quand l’Adie s’implante en Polynésie, il faut poser les bases du projet, embaucher et former une équipe locale. On lui propose le poste de directeur régional. Olivier aime la page blanche, la créativité et les possibilités d’innovation qu’elle offre, il accepte.
« La valeur liberté est la plus importante pour moi, on ne peut être libre que si on s’émancipe, mais pour cela il faut des moyens, des outils. Je trouvais fondamental de donner à chacun la possibilité de créer son entreprise. Finalement quoi de plus pertinent quand on parle d’émancipation que de devenir son propre patron ? »
Olivier venait pour amorcer le projet en Polynésie. Sa mission menée à bien, et après un bref retour en métropole, il est sollicité par d’anciens partenaires de l’Adie en Polynésie pour rejoindre un projet qui émerge sur le territoire. Des entreprises sont en train de se regrouper et souhaitent monter ensemble des actions sociales dans les quartiers. Il s’agit du projet FACE, la Fondation Agir contre l’Exclusion.
Créer des passerelles
Olivier est séduit par la démarche sincère et désintéressée de ces entreprises qui souhaitent faire de l’innovation sociale en s’appuyant sur leurs propres expériences, conjointement aux acteurs associatifs du territoire. Il observe le terrain. Il faut créer des passerelles, d’abord entre les associations et les entreprises puis entre les entreprises et les jeunes des quartiers en recherche d’orientation et d’emploi.
« Les gens nuls ou bons à rien ça n’existe pas, il faut juste identifier les compétences de chacun. Il y a un premier travail sur ce que les gens savent faire, aiment faire. Cela permet de définir un peu mieux le projet professionnel. Si tu ne sais pas ce que tu veux faire, tu ne peux pas être motivé pour le faire, cela entraîne les personnes dans une spirale de l’échec. »
En s’appuyant sur les associations de quartier, Olivier, directeur de FACE, va mettre en place des simulations d’entretien. Deux mondes se rencontrent : les grands patrons des entreprises de la fondation viennent à domicile chez les jeunes.
« On a démarré sur la mise en relation pour faire changer les regards des deux côtés : prouver aux jeunes des quartiers que ces patrons-là peuvent être accessibles, et montrer aux patrons que ces jeunes des quartiers valent quelque chose. »
Une fois le dispositif FACE en place, une nouvelle opportunité se présente, la création du Fare Natura, il en est aujourd’hui directeur.
S'adapter à son écosystème
La mission principale du Fare Natura est de rendre accessible des connaissances scientifiques et culturelles sur le patrimoine naturel polynésien. Olivier travaille en accord avec son écosystème : les associations locales, les habitants, les réalités du territoire. Son but : faire du musée une plate-forme d’insertion et de formation pour les jeunes de la vallée de Papetoai.
Le Fare Natura est piloté par l’École Pratique des Hautes Études. Une grande école qui prône une approche d’acquisition des savoirs par la pratique.
19 services civiques, une dizaine de stagiaires et 2 étudiants en master au sein du musée œuvrent au côté des 7 salariés permanents qui accompagnent toute cette équipe.
« On se fait confiance et on progresse tous les jours. On se nourrit les uns des autres. Personne n’a le savoir absolu. L’équipe du musée est très diverse, il y a des profils très différents. C’est la diversité qui crée la richesse. Ce fonctionnement de plateau pédagogique, ça marche très bien et c’est le principal facteur de réussite du Fare Natura. Nous sommes le bâtiment touristique le plus visité du territoire. Les gens sont accueillis par des jeunes motivés pour faire découvrir leur culture et leur nature. »
Prendre le temps d'observer
Une réussite qui s’explique par le fonctionnement du musée mais aussi par les contenus pensés par Olivier et son équipe. Il se souvient d’une rencontre faite il y a quelques années sur une plage des Tuamotu.
« Il y a un vieux pêcheur, je lui pose plein de questions et à un moment donné il m’arrête ! Il m’apprend l’apprentissage par l’observation, c’est quelque chose de très polynésien. Ça m’a marqué, ce n’était que du bon sens, et j’étais complètement passé à côté. Il y a d’autres façons d’apprendre. Je m’en suis inspiré pour le contenu du musée, il n’y a pas grand-chose à lire, mais il y a beaucoup de visuels et d’immersions. Notre volonté est de favoriser l’observation pour démocratiser l’accès aux savoirs. »
Au-delà de l’observation, les visiteurs pourront bientôt devenir acteurs de la préservation de l’environnement sur Moorea en participant à un projet de restauration de la forêt.
« Ce que j’ai beaucoup appris en Polynésie et ce qui m’intéresse le plus ce sont les rapports entre l’homme et la nature. Les Polynésiens étaient de très bons navigateurs, mais aussi de très bons agronomes. C’est une civilisation qui s’est constamment réinventée dans ses pratiques agricoles. C’est vraiment intéressant d’apprendre comment toutes ces plantes ont été sélectionnées, avec des changements de milieux aussi importants. »
Sur le chemin d’Olivier, les savoirs scientifiques et culturels s’entremêlent avec les expériences de vie et vont dans la même direction : la rencontre, l’adaptation, l’échange et l’émancipation.
1 L’Adie – Association pour le droit à l’initiative économique