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Société

Thierry Lison de Loma : « la solution à la pollution, c’est la dilution »

Publié le 31 octobre 2024

Interviewé en 2018 dans les colonnes de Hommes de Polynésie, Thierry Lison de Loma poursuit ses actions en faveur de l’environnement afin d’engager des changements pour un développement durable. Le président de la récente coopérative bio des Raromata΄i1, vice-président du SPG Bio Fetia, co-fondateur de la ferme maraichère bio Vaihuti Fresh, référent scientifique pour le nouveau rāhui de Raiatea, est à la fois un homme de réflexion et d’action. Aucune bonne idée ne résiste à une tentative d’application concrète !

Installé depuis 24 ans à Raiatea sur la commune de Tevaitoa, le producteur Thierry Lison de Loma dresse un bilan décennal satisfaisant des 8 hectares cultivés de Vaihuti Fresh2.

« En bio, plus on cultive, plus on améliore les sols, à la différence de l’agriculture conventionnelle où ils s’appauvrissent d’année en année. Or, c’est le sol qui nourrit les plantes. »

La ferme fruitière et maraichère bio Vaihuti Fresh emploie 8 à 10 travailleurs en moyenne.

Enrichir la terre tout en sélectionnant les variétés les plus adaptées au terroir a constitué la base d’un patient travail expérimental qui a porté ses fruits. 

 « Moins on traite et mieux c’est pour l’entreprise. En agriculture biologique, on a recours à des produits biodégradables à base d’huiles essentielles, la peau d’orange douce par exemple, ou l’huile de neem. On défend aussi les plantes avec des bactéries fabriquées à partir de thés de compost ou bien des champignons dans le cadre de la lutte biologique. Toutes ces parades réclament du temps et ont un coût. Alors, mieux vaut que les plants se défendent tout seuls ! Désormais, sur notre ferme, les coccinelles sont bien installées, de sorte qu’elles régulent la population de pucerons qui attaquaient nos concombres au début. Les champs vivent maintenant dans un certain équilibre et nous, en tant qu’agriculteurs, on est moins soucieux. »

Des idées plein le cocotier !

Désireux d’employer les ressources locales, Thierry Lison de Loma n’a de cesse de les transformer. C’est le cas avec plusieurs espèces d’arbres envahissantes comme le falcata et le tulipier du Gabon, dont le bois a été transformé en compost mais aussi en charbon utilisable en agriculture (biochar). Cette création de « biochar », lancée en 2018, a été financée par le programme européen BEST 2.0.

« Enfoui dans le sol, le biochar devient un habitat renfermant quantité d’éléments nutritifs, de l’eau, de l’air et des microbes. Réduit en granules, il peut être ensemencé avec des bactéries ou des champignons bénéfiques aux cultures. En nourrissant mieux les plantes, il augmente le rendement de 20 %. Nous l’avons testé sur la tomate et le papayer. »

Terreau de semis en tourbe de coco

Ferme pilote, Vaihuti Fresh tire sur le fil de l’agro-écologie jusqu’à dessiner divers cercles les plus vertueux possible. Quand Thierry s’est aperçu que les terreaux de semis qu’il importait d’Europe étaient fabriqués à partir de tourbe de coco provenant des Philippines, il a réfléchi à une élaboration maison de ce type d’engrais.

« Remplaçant la traditionnelle tourbe de sphaigne, la tourbe de coco rentre dans la composition de terreau adapté au semis. Cette tourbe de coco est en fait la poussière qui se loge entres les fibres de la bourre de coco. En lien avec la Direction de l’Agriculture et grâce à une aide financière européenne via le fonds PROTEGE, Vaihuti Fresh a développé des terreaux de semis locaux. Désormais, l’exploitation est autonome en terreaux de semis et approvisionne même d’autres agriculteurs. »

Poussant plus loin l’innovation, le chercheur s’est intéressé aux supports de semis dans lesquels le terreau est tassé. Ces plaques alvéolées en plastique, en provenance de Chine, sont jetées en quantité tous les ans tellement elles sont fragiles.

« Après pas mal d’essais, nous avons réussi à compacter le terreau de façon à ce qu’il forme une motte qui tient sans contenant. Nous proposons donc des semis prêts à planter, sans support plastique, et avec du terreau 100 % local ».

Une innovation qui limite la pollution plastique et réduit l’empreinte carbone !

Ficelle en bourre de coco

En séparant la tourbe de coco de la bourre, le maraicher s’est retrouvé avec des fibres de coco traditionnellement tressées en cordelettes et autres liens. Pourquoi ne pas les employer sur l’exploitation sachant que les fils actuels en plastique engendrent un gros problème de pollution ?

« On a fait venir une machine pour toronner les fibres de coco qui, désormais, remplacent bon nombre de nos fils plastiques, notamment les tuteurs. En partenariat avec Polyacht, nous poursuivons les tests pour les fermes perlières, nous orientant sans doute vers une corde hybride, bourre de coco et plastique qui résistera davantage au milieu marin. »

Suivi du récif corallien

Océanographe au Criobe durant 12 ans, Thierry n’a jamais perdu de vue l’une de ses préoccupations majeures, à savoir la protection des récifs coralliens. Aussi a-t-il naturellement été associé à la mise en place d’un rāhui à Raiatea sur la commune de Tumaraa ; il s’agit d’une vaste zone de protection récifo-lagonaire de 5 525 hectares sur laquelle la pêche sera réglementée ou interdite sous peu.

« J’ai mis en place le suivi scientifique des différentes zones avec un point zéro, c’est-à-dire un état des lieux qui servira de comparateur avec l’état des zones plus tard ; nous verrons ainsi mieux en quoi le rāhui influence la ressource maritime. Certaines espèces précises comme les pāhua (bénitiers), les tianee (cigales de mer) ou encore les ōura miti (langoustes) seront alors protégées. »

Déjà, face à la raréfaction de plusieurs animaux, par exemple les vana (oursins), ramassés tout le long du littoral et vendus il y a quelques années encore décortiqués en bocaux, la population s’est mobilisée.

« À certains endroits, les habitants de Raiatea ont limité, voire stoppé la pêche. Au sud, ils ont décidé de ne plus toucher au stock de crabe vert pendant deux ans. Ce qui est remarquable dans ce nouveau rāhui, c’est que la demande vient de la population : rien à voir avec les PGEM3 ou bien les aires marines protégées qui sont établis par les autorités. »

« Décentraliser est fondamental »

L’agriculteur a concentré ses efforts sur une dizaine de fruits et autant de légumes classiques, en travaillant efficacement sur les variétés les plus adaptées à son terroir.

Cet exemple corrobore la pensée de Thierry, selon laquelle nombre de problèmes seraient évités si l’on décentralisait à tous les niveaux : alimentaire, énergétique, politique, habitat, etc.

« Quand une ville dépend entièrement d’un site de production alimentaire, le jour où ce lien est rompu, les problèmes sont immenses. Idem pour les centrales nucléaires et à charbon, extrêmement dangereuses et polluantes. L’une des solutions à la pollution est la dilution. Décentraliser crée, par ailleurs, une multitude de communautés qui sont plus faciles à gérer d’un point de vue humain et plus démocratiques aussi. »

Convaincu de la nécessité de renforcer les groupes locaux, le président du GAB Raromatai se mobilise également pour la réussite de la toute récente coopérative bio de Raiatea. Celle-ci rassemble 15 agriculteurs bio qui, outre la vente hebdomadaire de leurs fruits et légumes au hangar 5 sur les quais de Uturoa, assurent l’expédition par bateau de toutes denrées agricoles, notamment la récolte conventionnelle de coprah.

« Aujourd’hui, en interconnectant mes différentes implications dans les domaines agricole et maritime, je sens que j’apporte à ma communauté. C’est un projet de vie qui existe grâce au soutien de ma famille. »

1 Coopérative GAB Raromata’i

2 Ferme maraichère bio gérée par Thierry Lison de Loma avec Didier Gralepois comme associé.

3 Plan de gestion de l’espace maritime

Gaëlle Poyade

Rédactrice

©Photos : Gaëlle Poyade pour Hommes de Polynésie

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