« On a oublié que les polynésiens et les vanuatais étaient des frères. » Marcel Melthérorong, écrivain du Vanuatu
Marcel Melthérorong, écrivain et auteur-compositeur du Vanuatu, est le lauréat de la résidence d’écriture océanienne, organisée au mois de juillet dernier par l’AETI (Association des Editeurs de Tahiti et des Iles). Il fait actuellement des tournées dans les écoles du fenua pour présenter le métier d’écrivain à nos élèves. Il a accepté de se confier à Hommes de Polynésie pour retracer son parcours et pour nous parler du Vanuatu, pays dont il est originaire.
Retour au pays de ses ancêtres
Issu d’une famille originaire du Vanuatu, Marcel passe sa jeunesse auprès de ses parents à Nouméa. Après ses études à Bourail, il fait son service militaire puis décide de déserter l’armée pour rentrer au Vanuatu. L’appel de son pays était trop fort.
« Alors que j’allais toujours à l’école, je suis parti pendant un mois passer des vacances au Vanuatu. J’ai ressenti à ce moment-là l’énergie du pays. J’ai bien réalisé que j’étais originaire de ce pays. J’ai eu cette envie d’y retourner pour m’y installer définitivement. Au moment de faire mon service militaire en Nouvelle-Calédonie, j’étais perdu parce que je n’étais ni kanak ni français. On m’apprenait à tuer pour le drapeau français. J’ai senti que je n’étais pas à ma place. J’ai alors décidé de rentrer au Vanuatu afin de retrouver mes origines. »
Réappropriation de la culture vanuataise
Il retourne alors dans le pays de ses ancêtres pour retrouver sa famille dans l’île de Vao Maka. Il se réapproprie ensuite la culture vanuataise.
« Au Vanuatu, j’ai réappris à parler le bislama, une langue pratiquée par l’ensemble de la population. Je me suis mis à apprendre mes coutumes, à comprendre les liens ainsi que les relations existantes entre les clans… J’avais déjà appris à vivre avec la nature en Nouvelle-Calédonie mais j’ai essayé d’apprendre un peu plus sur l’importance de la nature dans la culture du Vanuatu. »
Auteur-compositeur pour la promotion de la culture vanuataise
C’est à ce moment-là que Marcel décide de devenir artiste et d’écrire des chants afin de mettre en valeur sa culture mais aussi pour dénoncer certaines problématiques de son pays. Il crée son groupe Black Mata et se produit régulièrement dans les festivals musicaux ainsi que dans les événements importants comme la fête de l’indépendance.
« J’ai commencé à écrire des chants pour promouvoir l’esprit et la culture du Vanuatu. Je révèle des choses que l’on n’aperçoit pas forcément quand on est extérieur aux clans. Je décris par exemple la manière dont les habitants vivent en symbiose avec la nature, comment ils célèbrent la terre, comment ils dansent lorsqu’il faut circoncire un garçon, etc… Je dénonce aussi des choses négatives comme la corruption politique ou les violences conjugales. »
Montrer les richesses du Vanuatu et révéler des problématiques à travers l’écriture
Au cours des années 2000, il participe à une fête de la francophonie organisée conjointement par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et celui du Vanuatu. La rencontre avec des écrivains Kanak lui donne l’envie de se mettre à l’écriture. Il écrit alors son premier roman intitulé « Tôghàn » puis un deuxième, « Nagaemaes ». Le premier raconte l’histoire d’un jeune vanuatais incarcéré dans une prison en Nouvelle-Calédonie. Le deuxième traite de problématiques comme la corruption, les violences intra familiales ou la magie au Vanuatu.
« Au Vanuatu, on a l’habitude de vivre au jour le jour. On ne soucie pas du lendemain puisqu’il y a toujours quelque chose à manger comme les papayes ou les mangues. L’écriture m’a ainsi permis de m’organiser et me projeter dans le temps. A travers l’écriture, je montre les richesses du Vanuatu comme les alliances historiques entre les clans, les villages et les îles. Je révèle certaines problématiques comme le « gap » (fossé) entre les générations ou l’exode massif des jeunes du Vanuatu vers l’étranger afin de trouver un emploi. Cela m’arrive aussi de traiter des problématiques que l’on retrouve dans les autres pays du monde comme la pollution. »
Des similitudes entre la culture polynésienne et vanuataise
Marcel fait actuellement des tournées dans les établissements scolaires de Polynésie afin d’échanger avec les élèves au sujet du métier d’écrivain. Il en profite pour découvrir le fenua ainsi que la culture polynésienne. Il constate d’ailleurs des similitudes avec la culture du Vanuatu.
« Il y a des similitudes entre la culture polynésienne et celle du Vanuatu. Le nom de votre Dieu créateur se nomme Taaroa tandis que le nôtre s’appelle Tagar. Les habitants d’une île voisine l’appellent pour leur part Tagaroa. Le nom de certaines îles en Polynésie sont similaires ou sont identiques à celles ceux de certains villages au Vanuatu. Un village dans une île du Vanuatu se nomme par exemple Makatea. Tout comme chez vous, la tradition des pierres est très présente dans notre culture. La pierre marque le lieu où l’on va parler aux esprits. De même, vos marae ressemblent à nos Nasara. C’est là qu’on organise des cérémonies comme la fin de la période de circoncision de nos jeunes garçons. Autre exemple, la langue parlée dans une île du Vanuatu est également très proche de la langue tahitienne. »
S’unir face au système occidental
Marcel fait appel à l’unité des nations du Pacifique pour faire face aux dangers du système occidental.
« Cela me fait dire que nos peuples ont été coupés à un moment de leur histoire. On a même oublié qu’on était des frères. Il faut que les peuples du Pacifique se rassemblent afin de s’adresser d’une seule voix aux grandes puissances mondiales. C’est important pour nos enfants sinon, on va tous devenir des européens. On va devenir des gens qui dépendent des magasins ou qui ne peuvent pas vivre sans téléphone. Il faut qu’on s’adapte à la modernité sans se soumettre. »
Pas beaucoup d’argent, mais des richesses culturelles, historiques et naturelles
Pour conclure, l’écrivain tient à revenir sur le fait que le Vanuatu est souvent considéré comme un pays pauvre depuis son indépendance en 1980.
« Ce n’est pas nouveau parce que nos grands-parents ont entendu le même refrain. On entend encore ce même refrain aujourd’hui. Je pense que ce sont les colons français qui ont colporté cette image dans les pays francophones. Ils n’ont pas accepté notre indépendance contrairement aux colons anglais. Je leur répondrais que l’argent commence à avoir son importance au Vanuatu. On n’en a pas beaucoup mais on connait nos richesses. On est riche de notre culture, de notre histoire, de nos connaissances, de notre nature, etc. On communique encore avec la nature. On a des clans qui parlent encore aux volcans et aux vents. Je pense que cela vaut tout l’argent que les autres pays possèdent. »
Rédacteur
©Photos : Toatane Rurua pour Hommes de Polynésie
Yvon Bardes, directeur de publication