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Société

HUTIA : L’IMMENSE AMOUR D’UN PÈRE

Publié le 27 mai 2024

Hommes de Polynésie rencontre Hutia Aiamu un soir au centre-ville de Papeete. Un ouvrier épuisé par sa semaine de travail. Un père déchiré d’être séparé de ses enfants. Un homme qui ne rêve que  d’une chose : trouver un toit pour abriter les siens. Témoignage.

PRÉCARITÉ

Maraude nocturne de fin de semaine avec l’association Te Torea. La camionnette est chargée de thermos d’eau chaude pour le café, de baguettes de pain et d’humanité envers les personnes sans-abri. Le véhicule se stoppe au centre-ville, rapidement repéré par ceux qui s’apprêtent à passer la nuit dehors. Ils surgissent de tous côtés, accourent pour une boisson chaude, pour emplir leurs estomacs vides, pour absorber des paroles de réconfort. Parmi eux, il y a Hutia. Sa voix déliée au ton monocorde, brusquement émue par moments, se glisse parmi le tapage nocturne : la voici qui s’exprime. Elle énonce des propos puissants.

« Voilà 11 ans que je vis dans les rues de Papeete. Ça fait un bon bout de temps que j’essaie de m’en sortir. Ce n’est pas évident. »

« J’en ai marre de dormir sur des cartons. Je rêve d’un bon lit, de me baigner avec de l’eau chaude, de regarder la télévision le soir, et de boire un café avant de démarrer le matin. »

« Je travaille dans le bâtiment depuis quatre ans comme maçon, ferrailleur, assistant chef d’équipe. Je viens d’obtenir un CDI, et j’étudie actuellement pour devenir assistant chef de chantier. J’ai des plans à étudier le soir mais ici, dans la rue, je n’ai pas la place pour les étaler et pas assez de calme pour le faire. Pour cela, j’ai besoin de stabilité. »

UNE FAMILLE ÉCLATÉE

« Je suis en couple, mais c’est un couple qui manque d’équilibre. Je suis père de cinq enfants, dont quatre avec ma compagne qui vit aussi dans la rue. Tant que notre vie est instable, nos enfants ne peuvent pas vivre avec nous. »

« J’ai trois filles et deux garçons. Les plus grands sont scolarisés, les deux derniers pas encore. Je suis si fier d’eux. Ils vivent dans la famille, qui passe quelquefois en ville pour que les enfants nous voient. Moi, ça me fait mal au cœur. Parfois ils pleurent, pleurent, pleurent. Ils demandent leurs parents. Et je ne peux pas vivre avec eux, car il y a des conflits avec la famille. J’ai tenté d’autres options aussi, mais ça n’a pas marché. »

« Je fais le maximum pour tenir dans mon travail, pour subvenir aux besoins de mes enfants, pour rattraper tout le temps perdu. C’est si dur de ne pas les avoir avec moi, de ne pas pouvoir les câliner, de ne pas les voir évoluer. »

« J’ai tellement mal que je pense parfois à des actes fous, juste pour que l’on m’entende, pour que les choses bougent, pour que je puisse avoir un appartement et ainsi récupérer mes enfants. Mais je sais que cela ne fonctionne pas comme ça. Alors, je travaille. Y’a des fois, j’ai eu envie de tout lâcher, de m’évader, et même d’en finir. C’est le travail qui m’a aidé à tenir. Jamais d’absentéisme pour moi. Tous les matins, je me réveille à 4 heures, je suis 5 jours sur 5 au chantier. Il y a un but, un chemin. Et c’est un bon chemin. »

ESPOIRS

« Je veux que l’on m’entende, que les autorités nous entendent, nous tous qui vivons dans la rue. Que les décideurs observent ceux qui se débrouillent, qui veulent s’en sortir. C’est nous qu’il faut regarder, qu’il faut mettre en valeur. »

« Je sens que j’avance tout seul, que les efforts de ma compagne ne durent jamais. Elle n’est pas là quand je reviens fatigué de ma dure journée de travail. Elle n’est pas là pour m’aider à laver mon linge pour le lendemain. Elle n’est pas là pour partager un repas quand j’ai si faim. Elle est là quand le jour du salaire arrive. Et des fois, je craque. Elle veut des cadeaux, et je dis oui. Et moi, mes projets de logement sont retardés.

J’ai envie de m’élever dans la vie, je ne veux pas rester à ce niveau, je veux monter haut, très haut, jusque vers le ciel ! Pour montrer le bon exemple à nos enfants. Moi, j’ai un mental d’acier, parce qu’on m’a toujours dit d’aller à l’école pendant l’enfance, ça m’a appris la persévérance. Je compte aussi sur le Seigneur, dans les prières, pour qu’Il m’aide et m’accompagne dans mes démarches. Que je puisse être heureux, trouver une stabilité dans mon couple et récupérer mes enfants.

Je remercie l’association Te Torea, mon entourage, mes amis, la famille, tous ceux qui me soutiennent et m’encouragent pour que je puisse m’en sortir. Luiaa ! »

Les tasses de café sont vides, les estomacs rassasiés, les esprits ont trouvé un peu d’apaisement. Les habitants de la rue repartent comme ils étaient arrivés. Certains furtivement, ils vont trouver un lieu où s’allonger. D’autres traînent, car la soirée continue. Pour d’autres encore, l’espoir d’une vie meilleure subsiste, encore et toujours.

Propos recueillis fin 2023, retravaillés et adaptés pour un récit concis.

Au courant de l’année 2024, Hutia a trouvé un hébergement temporaire en attendant une réponse de l’OPH.

Doris Ramseyer

Rédactrice

©Photos : Doris Ramseyer pour Hommes de Polynésie

Pour plus de renseignements

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Association Te Torea

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