Anatauarii : « Cette histoire ne s’arrête pas à nous… »
Parce que « nous sommes les maillons d’une chaîne », Anatauarii dédie une majeure partie de sa vie à la compréhension de cet enchaînement. À l’heure où nous vivons dans une société où tout semble aller de plus en plus vite, et tandis que nos îles se modernisent davantage, nous ouvrons une brèche temporelle vers le passé. Rencontre avec un homme de Polynésie, archéologue, coordinateur de projet pour l’inscription des Marquises au patrimoine mondial de l’UNESCO, et grand passionné de la mer.
Une fascination pour les vestiges du passé
« La première langue que j’ai parlé, c’est le bislama1. »
Dans son enfance, Anatauarii voyage beaucoup lorsqu’il suit ses parents qui travaillent dans les principales îles françaises du pacifique. Malgré les déménagements, son point d’accroche reste ancré à Tautira où il baigne dans la culture polynésienne que sa famille chérit.
« J’ai grandi près de cette ferveur qu’il peut y avoir autour de la culture. »
À 6 ans, alors en vacances sur la terre des hommes, il se découvre une fascination pour les vestiges du passé.
« C’était la première fois que je me rendais aux Marquises avec mon père. En se promenant dans la vallée de Hatiheu, on ne peut qu’être pris intérieurement par ce qu’elle dégage. Dans cette vallée, on a une densité de tohua2 particulièrement importante. »
Songeur, Anatauarii estime que l’archéologie est une profession qui nécessite beaucoup de passion, car elle exige des sacrifices. Affectionnant la mer depuis son plus jeune âge, il se spécialise en archéologie subaquatique.
« Mon grand-père était pêcheur, mes grands frères m’ont emmené surfer dès l’âge de 3 ans. J’ai un lien particulier avec l’océan. Je voulais trouver un métier qui allie la mer à la culture. »
« Dans ma famille, il y a une phrase qui synthétise bien cette relation. « La mer, ce n’est pas seulement de l’eau salée, c’est aussi de l’eau bénite ». Car, bien que l’on ne puisse pas la boire, elle nous nourrit. »
Une mission de préservation, un devoir de restitution
Les Marquises ont longtemps fait l’objet de fouilles archéologiques. En 1996, à la demande des Marquisiens, elle fait l’objet d’une première inscription sur la liste indicative des bien français en tant que bien culturel. En 2010, la candidature de l’archipel fait l’objet d’une nouvelle inscription, mais cette fois-ci en tant que mixte : culture et nature.
« L’inscription des îles Marquises au patrimoine mondial de l’UNESCO est avant tout un dossier marquisien. Il est à l’initiative des Marquisiens et profite aux îles Marquises. Aujourd’hui, nous tentons de mener à bien le dossier et l’on n’a jamais été aussi proche de sa finalisation. »
Et pour que la population locale soit actrice de cette inscription, un travail de consultation le voit partir à la rencontre des Marquisiens.
« J’ai adhéré au projet assez rapidement, car j’aime les valeurs qu’il porte. En tant que Marquisien du côté de mon père, je ne pouvais pas refuser de participer à l’aventure. »
Au départ, archéologue junior, le projet d’inscription de l’archipel marquisien sur la liste du patrimoine mondial lui plaît tant qu’il en devient le coordinateur. Pour Anatauarii, il reste primordial de conserver et protéger le patrimoine culturel de nos îles. Mais à côté, il mène également une mission de restitution.
« Pendant 2 ans, en parallèle du dossier UNESCO, je me suis consacré à l’édition d’un ouvrage qui synthétise 10 ans d’archéologie en Polynésie française. J’ai donc dû ressortir des placards cette collection pour la relancer et ce grâce au soutien de ma direction et du ministre de la culture. J’ai eu à contacter les archéologues de tous les horizons qui avaient travaillé sur un terrain en Polynésie entre 2005 et 2015. »
Répondant ainsi aux devoirs de restitution des données que se fixe l’archéologue, ce DAP (Dossier d’Archéologie Polynésienne) est un outil de restitution puisque les résumés de l’ensemble des articles publiés sont traduits en langues vernaculaires pour maximiser sa portée et son impact.
Une histoire vivante
« Aujourd’hui en Polynésie, on s’intéresse beaucoup à nos îles, mais il y a beaucoup plus de mers sur notre territoire que de terre. »
Souvent restreinte aux épaves de navire, l’archéologie subaquatique est entreprise différemment en Polynésie. Le milieu marin ne permettant pas une sauvegarde des éléments comme on peut le voir en Europe ou ailleurs dans le monde.
« Au moment de l’évangélisation des îles, on a des récits qui relatent le fait que les Polynésiens se sont débarrassés de leurs idoles dans les passes, notamment avec le récit de Patii à Moorea. On sait qu’il y a des choses sous l’eau qui mériteraient d’être étudiées. »
Anatauarii précise que l’histoire se base sur l’étude de texte, tandis que l’archéologie explore le passé grâce aux traces laissées par les hommes, bien avant l’apparition de l’écriture.
« Ici, on est sur une société traditionnelle orale avec une arrivée de l’écriture assez récente. Cette caractéristique fait qu’on ne va pas systématiquement et exclusivement se baser sur les textes écrits, le plus souvent rédigés par des étrangers. On va plutôt privilégier une approche pluridisciplinaire en incluant à la fois l’archéologie, l’anthropologie, l’ethnologie, l’histoire, la linguistique, etc. Sur certains aspects, les informations se raccordent, mais dans certains cas, elles se contredisent. »
Et parfois, elle fait du bruit. En 2021, à Tautira sur le flanc nord de Tahuareva, le projet de dynamitage d’une partie de la montagne fait écho dans toute la Polynésie.
« On ne remettait pas en question la valeur sacrée de Tahuareva, mais il s’est avéré que les pierres en question ne portaient pas de pétroglyphes, tel que cela avait été largement diffusé sur les réseaux sociaux. Ces pierres étaient naturellement recouverte de lichen3. »
Un épisode qui laisse des traces dans la jeune carrière de l’archéologue qui puise ses origines familiales dans la commune.
« Quand je me suis retrouvé au tribunal, j’ai dû défendre l’inexistant alors qu’il y a tellement de sites à côté qui méritent d’être sauvegardés. »
Anatauarii ne dépérit pas. Tandis qu’il projette de belles découvertes dans les années à venir, qu’il travaille sur la restitution de donnée archéologique et qu’il compte assister à l’inscription des îles Marquises sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, il nous livre sa vision de l’être polynésien.
« Le polynésien moderne, c’est une personne qui fait preuve de résilience. Nous vivons avec notre temps malgré nous. On est dans une société qui est belle où il y a beaucoup de partage, d’échange, elle est dynamique, mais on reste insulaire et donc fragile. Héritiers d’une histoire et d’un patrimoine, on se doit de le porter pour le transmettre à nos enfants. Cette histoire ne s’arrête pas à nous, nous sommes les maillons de cette chaîne. »
1 Le bichelamar, aussi appelé bichlamar ou bislama, est un créole à base lexicale anglaise, parlé au Vanuatu.
2 Ces grands ensembles communautaires marquisiens s’organisent en de nombreuses plates-formes (paepae) et d’aménagements divers autour d’une cour centrale où avaient lieu des danses, des jeux et des rencontres entre les membres des tribus.
3 Appelés aussi champignons lichénisés ou champignons lichénisants, les lichens sont classés dans le phylum des Fungi