Siki : « gardons nos traditions vivantes et partageons-les ! »
Affecté à une langue de sable, à Huahine, Siki est comme un gardien de la paix, des eaux et forêts et surtout un passeur des traditions qu’il ranime sous nos yeux. Hommes de Polynésie vous dresse un portrait d’une journée dans son univers.
Du lundi au dimanche, Siki rallie en va’a le village de Ha’apū à la plage Hana Iti, située sur la côte ouest, à l’entrée de la baie de Bourayne. Chapeau en niau posé sur la tête, il décharge légumes vivriers, fruits, ustensiles de cuisine, boîtes de coquillages dans un modeste fare en bambou faisant office de remise, de boutique et souvent de boudoir.
Que l’on débarque par la mer ou bien, à pied, par la terre, on tombe inévitablement sur Philippe Noho, surnommé Siki. Mandaté par les maires de Ha’apū et de Fare pour entretenir cette belle plage de sable blond, ce soixantenaire réussit un coup de force : il protège le lieu de tout débordement festif tout en l’ouvrant au plus grand nombre. Mais pour combien de temps encore ?
Un écolodge passé et peut-être futur
Si Hana Iti jouit d’une réputation de paradis écologique, c’est parce qu’un hôtel 5 étoiles y a poussé le plus naturellement du monde dans les années 1990 avant d’être entièrement dévasté par un cyclone en 1998. Siki se remémore cette époque :
« J’ai bien connu Tom, l’Américain qui a fait construire ces incroyables bungalows en hauteur ; ils étaient comme suspendus dans les arbres ou ancrés dans les rochers. Cela fait des années que l’on parle de rebâtir un hôtel en ces lieux… »
En attendant cette hypothétique construction, Hana Iti demeure ouverte à tous et totalement gratuite.
Un perpétuel Mini Heiva
S’avançant à pas lents, Siki accueille d’un sourire chaque visiteur, l’initie et partage avec lui la culture polynésienne sur cet espace entre lagon et forêt qui s’apparente à un motu.
« Viens, on va cuisiner du pain coco ensemble. Après, on râpera le manioc pour le po’e. Tu as déjà goûté au pāhua trempé dans le lait de coco ? »
Le chef d’orchestre de cette cuisine polynésienne de plein air embrigade toutes les bonnes volontés dans l’organisation d’un repas collectif au feu de bois. L’un ramène des branches, l’autre débourre les cocos, tandis qu’un autre encore presse la chair pour en extraire le lait. Siki entraîne les enfants vers l’hibiscus des plages afin de casser les feuilles de pūrau, épousant parfaitement les courbes des petits pains.
« Ce qui me plaît dans la culture polynésienne, c’est qu’elle est utile. Elle ne fait pas dans la décoration. Si tu sais pêcher, tu peux manger. Si tu connais les plantes, tu peux te soigner. Si tu connais les arbres, tu construis ton fare. »
Mêlant le geste à la parole, Siki se saisit d’un pātia et — souvent du premier jet ! —, le lance dans le coco surplombant le mât. D’un œil goguenard, il lance ainsi comme un défi mais aussi un encouragement aux visiteurs qui croyaient la chose irréalisable.
Puis, Siki regagne son alcôve de tôle et de bambou qui lui sert d’atelier. Là, il confectionne des bijoux en coquillages cousus sur une tresse en raffia, des sautoirs en graines rouges de piti piti o, des chevillières serties d’une discrète porcelaine ou encore des sacs à main au charme fou en coco poncé jusqu’à l’âme.
Initier aux savoirs anciens
Plutôt que d’être observé, il préfère transmettre son savoir, guider les mains incertaines, initier à la réalisation d’un nœud coulissant ou un bracelet en gousse de vanille tout en baguenaudant. D’où lui vient cette dextérité ?
« J’ai fabriqué des costumes pour le Heiva. J’ai également enseigné trois ans à la Maison Familiale et Rurale de Mārō’ē. Là, j’ai appris à des jeunes le travail de la nacre, la gravure, la confection de pāreu et de tīfaifai, le montage de bijoux en coquillages. »
Tout en faisant glisser son fil de nylon dans le chat de l’aiguille, Siki révèle les origines de ses connaissances, qu’il s’agisse de localiser des pierres sacrificielles, « emu ta’ata », telles que celle située à la pointe sud de Hana Iti, ou bien de repérer les plantes médicinales.
« Écoute bien : mon grand-père décortiquait des pāhua à ses enfants et, ensuite, leur demandait de faire de même. Ils refusaient, ils n’en avaient pas envie. Alors, mon grand-père leur présentait les pāhua, encore à l’abri dans leur coquille, en leur disant : » vas-y, mange ! » Il faisait pareil avec le ‘uru, braisé, épluché et tapé. » Non », répétaient ses enfants. Il rétorquait alors : » croque dans le ‘uru vert ! »Dans la vie, c’est le travail et le mana qui sont importants. Si tu possèdes les deux, tu réussis. »
Gaëlle Poyade
Rédactrice
©Photos : Gaëlle Poyade pour Hommes de Polynésie