Anthony Tchékémian, de Bac -2 à Bac +9 (1/2)
Hommes de Polynésie vous invite aujourd’hui à découvrir le monde de la recherche universitaire à travers le portrait d’Anthony Tchékémian. Ce chercheur en urbanisme, en environnement et en géographie nous confie son parcours atypique et le fruit de ses recherches sur l’agriculture, la santé et l’alimentation au fenua. C’est l’occasion de se pencher sur nos pratiques quotidiennes et notre mode de vie.
Mérite et passion
Anthony Tchékémian grandit dans la Drôme, au sein d’une famille modeste, avec une mère employée de mairie et un père ouvrier. À l’adolescence, le divorce de ses parents entraîne une rupture familiale marquée par l’incompréhension et la colère, et provoque chez lui un rejet des études. Frôlant l’orientation vers une carrière dans l’armée, il rejoint, in extremis, un lycée professionnel.
« Petit, j’étais passionné d’entomologie, j’observais les plantes, les animaux et je faisais de ma chambre l’Arche de Noé. Plus tard, il fallait que je fasse quelque chose dans l’environnement. »
Alors qu’il suit un Brevet d’Etudes Professionnelles à Montélimar en tant qu’agent d’assainissement radioactif, Anthony aspire à autre chose et un objectif commence à se dessiner : l’enseignement. Avec son BEP en poche, il poursuit ses études à Marseille, en bac professionnel hygiène et environnement.
« En France, les études professionnelles ne sont pas très valorisées, elles sont même stigmatisées. C’était difficile pour mes parents, car au collège la Conseillère de « désorientation » leur avait dit que je n’allais pas y arriver. Et quand j’ai voulu entrer à l’université en licence de biologie après le bac pro, on m’a encore répété que je n’allais pas y arriver. Ça a suffi à me motiver, pour prouver à ma famille, aux autres et à moi que je pouvais y arriver. »
Le jeune homme réalise son rêve en entrant en L1 de biologie à la faculté de Marseille : il doit travailler dur, toutes les nuits, , pour avancer sur la physique, la chimie, les mathématiques… car, venant d’un Bac pro, il n’avait pas les connaissances dans ces domaines. Il décide alors de passer par un BTS agricole Gestion protection de la nature, à Gardanne. Puis, il se réinscrit en Biologie, mais cette fois-ci en troisième année de licence.
« A ce moment-là, je rencontre un professeur qui me fait confiance : Nardo Vicente. Il me permet de travailler au parc national de Port Cros. Il a cru en moi, et avec ce soutien, j’ai obtenu ma licence de biologie. Je venais de remporter une première étape. J’étais ravi. »
Parti à Grenoble pour suivre ses passions, Anthony s’inscrit en Licence 3 d’urbanisme et découvre l’émulation autour du travail, de l’échange et du dialogue dans la création. Il sortira major de ses promos de Master.
« Moi qui étais toujours dernier et inquiet, j’y arrivais enfin ! Le travail résonnait. Mon objectif d’être enseignant se précisait peu à peu. »
Après la soutenance de sa thèse en géographie et aménagement, Anthony obtient des récompenses, dont la médaille de l’Académie d’agriculture de France. Il accède directement à un poste de maître de conférences à l’université de Lorraine. Par le biais d’une passerelle avec l’université de Metz, le docteur en urbanisme et géographie a l’occasion d’enseigner à l’UPF. Il saisit cette opportunité et arrive en 2013 au fenua.
Enseignant-chercheur et compétiteur
Parallèlement à ses études et sa carrière professionnelle, Anthony s’investit dans le sport et la compétition en judo.
« Je commence le judo à l’âge de 7 ans, à Valence, au début des années 80. À cette époque, nombreux sont les enfants, peu attirés par le football ou le rugby, que leurs parents inscrivent à ce sport. D’ailleurs, mon père m’a donné ce prénom après avoir été impressionné par les prouesses d’un judoka nommé « Anthony », lors d’une compétition internationale. Au fil des années, je progresse et atteins la ceinture marron.»
L’adolescence l’amène à changer de sport… toujours en performant dans la compétition. Le sport devient également un prétexte à la pédagogie et la carrière professionnelle d’Anthony trouve des échos avec son engouement pour le sport et la transmission.
« Cependant, en tant qu’adolescent, l’envie de découvrir autre chose se fait sentir. Je m’oriente alors vers un autre sport de combat, le rugby, où je retrouve mes amis d’enfance. Très vite, je trouve ma place comme talonneur, au sein d’une véritable « famille » rugby, un groupe qui me permet de me reconstruire, notamment après le divorce de mes parents. Cette nouvelle famille sportive devient un véritable soutien et m’apporte réconfort. J’obtiens aussi un Brevet Fédéral d’entraineur de rugby. J’évolue alors du niveau junior au niveau senior, tout en étant étudiant à Marseille. Bien que je ne puisse pas assister à tous les entraînements, les clubs prennent en charge mes déplacements pour les matchs. »
Et le sport le suit dans les étapes de sa vie. L’avancement de sa carrière correspond également à son investissement en compétition, notamment en judo. Surtout, nous remarquons la sagesse tirée de la pratique du judo à haut niveau et son application dans la vie quotidienne et professionnelle d’Anthony.
« Lorsque je poursuis mes études à Grenoble, je décide de me réinscrire au judo, et de pratiquer l’escrime dont j’ai beaucoup aimé la pratique du fleuret (un autre sport très rigoureux et très codifié). Cette fois, je reprends le judo en m’entrainant au pole espoir, dans le but d’obtenir ma ceinture noire. Le retour au judo m’apporte une discipline et un cadre de vie qui m’ont toujours accompagné, notamment dans mes études et mon travail.
Je considère le judo non seulement comme un sport, mais comme un véritable code de vie. La recherche de l’effort, du dépassement de soi, la persévérance et le courage sont des valeurs que j’ai intégrées et qui m’ont accompagné tout au long de mon parcours professionnel. Elles m’ont permis de faire face à l’adversité et de surmonter les défis.»
Ces deux facettes de la personnalité d’Anthony, celles d’enseignant-chercheur et de compétiteur, se croisent et s’enrichissent mutuellement. Aujourd’hui, il continue la pratique du judo à Tahiti et représente son île lors de compétitions internationales. Ainsi, il semble avoir trouvé un lieu propice à son épanouissement professionnel et sportif sur le fenua.
Marie Lecrosnier–Wittkowsky
Rédactrice
©Photos : Anthony Tchekemian pour Hommes de Polynésie, Doris Ramseyer (photo de couverture)