Tāhiri Sommer, peindre l’authentique
Tāhiri Sommer a 30 ans et est un enfant de Tahiti. Artiste pluridisciplinaire inspirant et inspiré, il a accepté de se confier à Hommes de Polynésie. Il nous dévoile ici son parcours, ses inspirations et un peu de sa personnalité colorée.
ENLACER LA CRÉATIVITÉ
Tāhiri a toujours su qu’il voulait devenir artiste. Des ateliers créatifs de l’école maternelle aux expérimentations d’adolescent, il n’a jamais cessé d’entretenir son côté imaginatif.
« Je crois que c’est un peu comme tous les enfants qui aiment jouer avec la matière et les couleurs, qui veulent toucher, expérimenter, créer. Moi, ça m’est resté. »
Ce qu’il préfère avant tout, c’est peindre et photographier. Le dessin et la peinture, il les garde pour lui, c’est son jardin secret. Pendant les vacances, il capture des instants de vie grâce à des appareils jetables. Mais lorsqu’il est au lycée, sa mère lui offre son premier appareil numérique.
« La photo, j’ai été tout de suite satisfait de ce que je produisais, mais je me suis vite ennuyé. Au début, ce que je faisais en peinture et en photo était très proche de la réalité. Mais j’ai rapidement eu envie de faire quelque chose de pas réaliste. »
Rapidement, il se fait connaitre sur les réseaux où il partage ses autoportraits surréalistes. Il les réalise grâce à Photoshop, un outil qui lui permet de superposer différentes images et créer un univers bien à lui.
« Je n’aime pas le mot montage, je préfère le terme assemblage. »
Ses photographies oniriques dévoilent une personnalité prolifique. Dans le regard de Tāhiri, les poissons vivent parmi les nuages, les lépidoptères1 font partie du paysage ambiant. Empruntant des techniques aux procédés de développements argentiques, l’artiste réalise également des collages photographiques. Pour ce faire, il utilise des produits lui permettant de décoller les couleurs du papier photo.
« Ça ressemble à un mouchoir mouillé (rires). »
Il colle ensuite les bandes d’images sur une autre surface, créant un effet de matière.
CONFRONTATION AVEC LA VISION OCCIDENTALE
Après un bac littéraire option arts-plastiques, Tāhiri Sommer s’envole vers l’Hexagone afin de poursuivre ses études. Il intègre la Maison des Arts à Bordeaux. Rapidement, c’est le choc culturel avec la plupart de ses professeurs.
« Quand j’utilisais des références polynésiennes ou océaniennes, il y avait toujours quelque chose de négatif dans leur réaction. »
L’Océanie étant, méconnue et donc peu, voire pas du tout intégrée dans l’enseignement, il se crée une nouvelle base d’inspiration.
« Bientôt, je me suis rendu compte que toutes mes références étaient occidentales. Alors, j’ai souhaité trouver un lien avec la Polynésie française, et particulièrement Tahiti, car c’est de là que je viens. »
Autour de lui s’organise alors un brassage d’influences diverses. Une série de tableaux nait, entrelaçant un univers proche de celui de Henri Matisse et les compositions traditionnelles des tīfaifai polynésiens.
SE DÉVOILER AUX REGARDS
En 2023, il présente sa première exposition de peinture : E Maha΄ū, quatre couleurs & nuances.
« C’est un gros travail de lâcher-prise. »
Les œuvres du jeune artiste, enfin dévoilées au grand public, sont exposées à la Galerie Winkler, à Papeete.
« Ça fait peu de temps que je suis connu pour ma peinture car je ne montrais pas ce que je faisais. Sauf peut-être à ma famille et quelques amis. »
Parmi la vingtaine de toiles présentées, quatre couleurs et leurs nuances triomphent : le vert, l’orange, le bleu et le rose.
« Dans mon travail, il y a seulement quatre couleurs, ou des nuances de ces quatre couleurs. Lors de ma première exposition, les locaux voyaient le tīfaifai et les touristes français reconnaissaient l’influence de Matisse. »
Son style de peinture, tout en traits, mélange les techniques impressionnistes, réalistes et naïves. Il laisse place au vide, comme la musique laisse de la place au silence.
« J’ai l’impression que c’est de la peinture en dessin ou du dessin en peinture. »
RÉAPPROPRIATION DU TRADITIONNEL
Lorsque l’on parcourt les réalisations de Tāhiri, des détails confirmant leur appartenance à notre époque contemporaine ne peuvent nous échapper. Il les appelle les «éléments perturbateurs ». Ce sont des boombox, des sandales méduses, des crop-tops, des sacs-bananes…
« Ajouter des éléments d’aujourd’hui, c’est une manière de rendre mon travail authentique. Si je décide de les utiliser, c’est vraiment pour illustrer ce qu’on voit tous les jours. »
Au-delà de cette volonté de retranscrire le réel à travers le surréalisme, Tāhiri ajoute à ses œuvres une touche de son héritage culturel. L’important selon lui, c’est de conserver les gestes, les motifs et les techniques.
« De ce que je vois, avec les jeunes artistes, on partage la même vision, les mêmes questionnements. Notre rôle, c’est de faire évoluer des objets anciens, traditionnels, qu’ils ne soient pas enfermés dans un aquarium comme un poisson rouge. En tant qu’artistes, on doit questionner la base. »
Jouant avec ce fractionnement social et les codes de différentes époques, il y a un réel parti pris dans ces portraits de Polynésiens et Polynésiennes d’aujourd’hui. Par exemple, Tāhiri se plaît à représenter des vahine dans leur quotidien, tentant avec justesse de les délivrer d’un mythe colonial.
« Un artiste fait une rupture avec la tradition, tout en gardant le lien. »
¹ Papillons