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Art & Culture

Jean-Paul Forest, un dialogue avec la pierre

Publié le 27 septembre 2024

C’est autour d’une pause sucrée aux effluves de café que notre entrevue se déroule. Hommes de Polynésie est allé à la rencontre de celui qui coud les pierres : le sculpteur Jean-Paul Forest.

UN VOYAGE À TRAVERS LES ARTS ET LES CULTURES

Arrivé en Polynésie par le biais du service militaire à la fin des années 70, Jean-Paul tombe amoureux de la vie insulaire et décide de s’installer à Tahiti.

« Jai été sidéré par ces îles et ce contact avec lunivers : sur une île, on a encore la chance de voir l’immensité, l’infini. Ma culture d’origine me paraissait bancale, pleine de contradictions, et la culture polynésienne m’a offert un autre point de vue sur la manière de vivre et notre rapport à ce qui nous dépasse. »

À cette époque, il s’est déjà essayé à la sculpture mais a vite abandonné. Il ne croit pas en son talent. Cependant il persévère dans l’idée de se découvrir à travers une activité artistique.

« Jai appris des choses avec la photographie, mais ça nembellissait pas ma vie. »

Finalement, après avoir tenté l’argentique, le dessin, la peinture, il revient à sa première ambition : la sculpture.

« Jai abandonné la recherche de forme dans les matériaux, pour me concentrer sur le rapport avec la matière, car la sculpture cherche un autre regard sur celle-ci. Revenir à la création, cest tenter de trouver un dialogue avec la matière, et non pas de l’utiliser. »

Couture sur pierre, détails

Abdiquant face au concept du figuratif, il oriente sa pratique d’une manière plus personnelle, plus instinctive. Chez lui, trônent des œuvres appartenant au passé, au présent, ayant voyagé dans des galeries, des musées ou attendant d’être déplacées pour se dévoiler au monde.

« Chaque pièce correspond à une époque. Toutes les pièces que jai chez moi ont une valeur sentimentale pour moi. »

LA RENCONTRE DES CORPS

Jean-Paul Forest parsème son quotidien de pierres. Partout où se pose notre regard, vivent ces êtres immobiles. Il les prélève dans la vallée, où il se rend pour admirer l’amplitude, mais également créer.

«  Un galet de rivière est déjà un corps. »

Galets bruts

Lorsque nous lui demandons comment il les choisit, il répond simplement :

«  Il faut dabord que je sois fasciné par un objet, et ensuite je me demande ce quon va bien pouvoir se raconter, lui et moi. »

Des rangées de cailloux attendent, à l’extérieur de sa maison, d’être portées jusqu’à l’atelier. Mais tous ne connaîtront pas ce destin.

« Est-ce que jen fais quelque chose ou est-ce que je les remets dans la vallée ? Ce choix arrive, lorsque je ne trouve pas dhistoire à raconter avec un corps. Dans ce cas-là, je le replace là d’où il vient. »

UNE ODE À LA NATURE ET À SES LÉGENDES

« Ce qui m’intéresse avec la pierre, cest que cest la matière la plus disponible et la plus banale sur terre. »

Passionné par la nature, Jean-Paul a une affection toute particulière pour la vallée de la Papeno’o. Seulement, entre 1989 et 1994, des barrages hydrauliques sont construits tout le long de la rivière.

«  La vallée de la Papenoo a été totalement bouleversée dans les années 90. Il y a eu des travaux qui ont défiguré le fond de la vallée. Je me suis dit quil fallait arrêter de prélever des pierres et je me suis mis à coudre celles qui avaient été dynamitées. »

Oeuvre in situ - pierre cousue dans la vallée de la Papeno'o

Les randonneurs observateurs ou tout simplement chanceux, peuvent apercevoir dans la montagne ces œuvres qui semblent venues d’un temps oublié, ou d’un avenir à découvrir.

«  La couture, cest la manière la plus évidente de rassembler la matière, de réparer ce qui a été détruit. »

Il nous conte alors la légende de Maai a Ruahine1, la femme-lézard. Ce personnage jadis bien connu des habitants de la vallée, est aujourd’hui relégué au passé et à ses ombres. Pour lui rendre hommage, le sculpteur a réalisé plusieurs pièces à son effigie, qu’il a disséminées au cœur de la Papeno’o, là où elle vivait autrefois selon les anciens.

« Jai voulu la remettre dans son milieu, avant quon ne loublie. »

Maai a Ruahine

L’ORDRE ET LE CHAOS

La démarche artistique de Jean-Paul est avant tout une recherche de lien avec ce qui lui est connu ou inconnu, un rapport d’investigation de la matière, pour raconter une histoire à plusieurs voix.

« Lart pour moi, cest cela : tu commences avec une intention, des choses qui te parlent à toi, puis un fil se déroule et te guide. Ce qui m’intéresse dans la création, cest la liberté dexploration.»

Sculpture anthropomorphe

Malgré toutes ces années à embrasser la création, il n’a jamais souhaité en faire un métier.

« Jai toujours eu un travail à côté car je nai jamais voulu dépendre du public et du marché de la vente. »

Constamment dans l’approfondissement de son savoir-faire, celui que l’on nomme « l’homme qui coud les pierres » se renouvelle sans cesse à travers sa pratique créative.

« Obligatoirement, il y a plusieurs voies que jexplore simultanément. »

Dans son antre, nous contemplons des œuvres alliant la maîtrise et le hasard.

Des pierres percées de trous de manière parfaitement symétrique sur une surface chaotique d’un côté, les orifices ressortant comme un ciel éparpillé d’étoiles sur une surface lisse de l’autre. Ces pièces sont, nous confie-t-il, une illustration de sa vision du monde naturel : l’ordre et le chaos.

« La nature est une autodestruction permanente, pour reconstruire quelque chose de nouveau. Si tu arrives à rester enthousiaste, la vie devient plus intéressante au fil des expériences, et donc du temps. »

1 : La déesse, maîtresse des lieux, Maai a Ruahine, appelée aussi MooTua Raha (lézard) était une femme à la tombée de la nuit, mais à l’aurore, elle prenait l’apparence d’un lézard au dos large. Au coucher du soleil, la déesse Maai a Ruahine attirait à elle tout homme pour l’amour. Elle était une femme à ce moment-là.

Cartouche

Rédactrice

©Photos : Cartouche & Jean-Paul Forest pour Hommes de Polynésie

Directeur des publications : Yvon Bardes

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