Hommes de Polynésie Retrouvez nous sur
Site de Femmes de Polynésie Hommes de Polynésie

Je passe
d'un site à l'autre

Société

À Bora Bora, Taimanu pique notre curiosité

Publié le 23 janvier 2024

Sur l’un des motu de Bora Bora, Taimanu Mare fabrique les toitures végétales qui coiffent les prestigieux bungalows des nombreux hôtels. Dans son atelier rudimentaire, situé entre le bois de pandanus côté récif et le lagon scintillant, le jeune homme de 28 ans fournit un travail de patience qui laisse libre cours à ses pensées. Hommes de Polynésie vous invite à le rencontrer.

Taimanu se souvient d’avoir appris à piquer le pandanus dès l’âge de 8 ans auprès de ses parents qui continuent d’exercer cette activité à ses côtés. Désirant rester vivre sur son île, lui-même s’est orienté vers ce travail dès la fin du collège. En témoignent ses mains tannées comme du cuir et la pulpe dure de ses doigts.

Cueillir des palmes épineuses

Derrière son abri, à côté du tas de coco, a été tracée une allée de auti qui emmène à la pandanaie. S’épanouissant sur un sol corallien clairsemé de touffes de pourpier et de sensitives mesquines, les fara¹ déploient leurs palmes en colimaçon, celles-ci tournicotant autour d’un axe. Cette manière de croître surprend autant que les stipes annelés de couleur ocre.

Pour confectionner les toitures, Taimanu ramasse les palmes sèches de pandanus.

Si Taimanu collecte les palmes marron jonchant le sol, il lui arrive aussi de grimper au cœur du pandanus, ce malgré les épines impitoyables qui éraflent sa peau.

« Ceux qui n’y sont pas habitués doivent s’équiper de pantalon et de tee-shirt à manches longues ; moi, surtout quand il fait chaud, je monte en short et torse nu. Après, je plonge à la mer pour calmer les irritations de ma peau rougie. »

À certaines périodes de l’année, les palmes venant à manquer, des gens d’autres motu se déplacent jusqu’à Vaitia piti ; si jamais ils raflent de trop nombreux paquets de feuilles, les suivants n’ont plus que les cailloux à ramasser ! D’aucuns s’installent même pour quelques jours sur l’île voisine de Tupai afin d’amasser en grandes quantités.

« Heureusement qu’il y a pas mal d’embauches dans les hôtels, sinon il n’y aurait plus de forêt de pandanus ! »

Plier et piquer sans se blesser

Les longues palmes sont trempées dans la mer environ 3 heures, puis frottées autour d’un pieu en bois pour les assouplir, enfin rangées en rouleaux. Ensuite commence l’assemblage afin de réaliser des pans de toiture sous forme de paquet. Il s’agit de plier les palmes en deux, de glisser une baguette en leur milieu, puis de les coudre avec un fin bâton de bambou afin de maintenir l’ensemble. Pour réaliser tous ces trous, Taimanu emploie le pātia, un outil pointu.

« Je l’ai fabriqué moi-même à partir d’une louche pour faire les frites ! j’ai remplacé le creux par un bout tranchant. D’autres utilisent des freins de scooter ou de vélo qu’ils bricolent, ou encore des os de cochon sauvages ramenés de Tupai. »

Le pātia est l’outil bricolé par Taimanu lui-même.

Une ressource partagée entre les motu et la montagne

Répétant des gestes sûrs, Taimanu constitue ainsi des plaques de feuilles (d’environ 95 cm) qu’il vend par paquet de 20 à raison de 3000-3500 francs le paquet. Il apprécie l’indépendance de son job, se considérant comme son propre boss. Les commandes s’échelonnent régulièrement parce que les toitures en raouro (du nom de la feuille sèche) doivent être renouvelées tous les 5 ans. En 2011, il a été question de les supplanter par des couvertures en pandanex, une matière plastique imitant le pandanus ; mais l’idée a été massivement rejetée par les habitants d’autant que l’exploitation du fara profite également aux insulaires puisque la baguette de roseau comme la tige de bambou se cueillent sur leur territoire.

Méditation sur l’avenir

Même s’il retourne régulièrement, en quelques coups de rame bien appuyées, dans la maison familiale de Anau située juste en face, la solitude du motu plaît à Taimanu.

« J’aime piquer le raouro car je suis bien concentré sur ce que je fais, j’ai l’esprit tranquille. C’est une façon de se débrouiller comme vivre du coprah ou du fa’a’apu². Il ne faut pas être fainéant. »

Sans doute les longues heures d’artisanat dans cet espace de plein ciel et de vastes eaux ont-elles engendré une forme de projection, sinon de sagesse chez le jeune homme. Taimanu a conscience d’être un maillon dans l’histoire familiale, et peut-être dans celle de son peuple. Il se prépare à succéder à son père quand ce dernier ira compter les étoiles.

« Si je n’ai pas d’enfant, tout ce que mes parents vont me léguer, tout mon travail actuel ne sert à rien. »

Alors la question se pose : n’est-ce pas compliqué d’attirer une compagne sur cette langue sauvage, voire de l’impliquer dans ces efforts physiques ?

« Les femmes des Raromata’i, si on leur apprend ce mode de vie, elles peuvent aimer parce qu’elles sont participantes, courageuses et travailleuses. L’artisanat — le raouro, le tressage, les couronnes de fleurs, les colliers de coquillages — on en a tellement besoin pour faire vivre notre culture ma’ohi. »

  1. Nom du pandanus.
  2. Travailler comme agriculteur, cultivateur.

Gaëlle Poyade

Rédactrice

©Photos : Gaëlle Poyade pour Hommes de Polynésie

À découvrir également :

Partagez Maintenant !

Newsletter

Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir du contenu de qualité

* En cliquant sur VALIDER, nous attestons que l'adresse mail ne sera utilisée que pour diffuser notre newsletter et que vous pourrez à tout moment annuler votre abonnement.