
La fascinante histoire d’Auguste Lee
À Papeete, nous décidons de prendre la direction des boyaux verts qui nous guident vers le cœur de l’île. Nous nous arrêtons devant un atelier de bois, posé en bord de route, une volée de marches asymétriques nous accompagne dans l’antre de Monsieur Lee, réparateur de machines à coudre.
UNE ENFANCE AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ HAKKA
Auguste Lee naît dans la commune de Punaauia. Dès l’enfance, il possède la fibre manuelle.
« Depuis que je suis petit, quand on me dit qu’une machine ne marche plus, je vais regarder ce que je peux faire. On vivait à une époque où on réparait seuls nos mobylettes, on s’amusait comme ça. »

Dans les années 1940 en Polynésie, la communauté hakka1 est mise à part du reste de la population. L’État français n’assure pas l’éducation scolaire de ces enfants, et Auguste grandit sans même compter les années qui passent.
« Je ne m’occupe pas de mon âge, je n’y ai jamais fait attention. »
Un jour, l’envie de s’instruire de manière plus académique le prend. Mais il est alors trop âgé pour rentrer à l’école française.
« J’ai appris à l’école chinoise, mais l’après-midi, je faisais du français. »

À la maison, il parle le cantonnais et le hakka. À l’école, quelques bribes de français. Mais l’ère coloniale ne l’autorise pas à pratiquer le reo tahiti.
« C’est interdit de parler tahitien à l’époque. Si on te chope, on te punit ! »
Lorsqu’il n’est pas fourré les mains dans un moteur ou à l’école, l’adolescent est avec sa famille.
« Mon papa faisait la cuisine. On avait un petit restaurant. Le plat principal, c’était le ma’a tinito. Je dépannais les grosses machines dans la cuisine. »
SE FORMER AUX CÔTÉS DU CEP
À 18 ans, Auguste Lee décide qu’il est temps de devenir indépendant.
« J’ai commencé par travailler dans un magasin. Puis, on est venu me voir et on m’a dit que quelqu’un cherchait un bricoleur. »
Une connaissance l’introduit à un représentant du CEP2 qui a besoin de mains pour réparer des machines à écrire.
« Juste monter et démonter, réparer les pannes… Je ne connaissais pas. »
Le jeune homme se forme, se crée une réputation. Surtout, il se lie d’amitié avec les dactylographes qui tapent les rapports du CEP, dans les bureaux à l’étage de la librairie Klima3.

« J’ai appris bien le français avec ces dames-là. Auguste, ce n’est pas mon vrai prénom. Mon prénom chinois, Lee Ghai Tchi, était trop compliqué et trop long pour les français. Alors, quand ces dames m’ont baptisé Auguste, j’ai gardé ce nom-là. »
Il devient tellement indispensable au Centre d’expérimentation qu’il est envoyé en Suisse pour approfondir ses connaissances en mécanique.
« J’y ai goûté ce plat avec le fromage, comment ça s’appelle… la fondue ! »
Quelques années après son retour sur Tahiti, Auguste décrète qu’il est grand temps de monter sa propre entreprise. En 1966, il obtient sa patente.
UNE VIE À RÉPARER
Sa renommée lui permet d’avoir rapidement de la clientèle. Lorsqu’il crée son atelier, ils sont seulement deux réparateurs de machine à écrire pour toute la Polynésie. Notre mécanicien agrandit rapidement son équipe, embauche et forme cinq personnes pour l’aider.
« Un jour, quelqu’un m’amène sa machine à coudre… »

Auguste ne se laisse pas décontenancer, il sait tout faire. Il lui suffit de démonter l’engin pour comprendre son fonctionnement et se passionner pour ces rouages inventifs. Lorsque la machine à écrire s’éteint pour laisser place à l’ordinateur, c’est sur les machines à coudre qu’il jette son dévolu. Il en devient alors le premier réparateur officiel. Aujourd’hui, cela fait 59 ans qu’il exerce ce métier.
« Je n’arrête pas, je continue, doucement… »
Désormais à la retraite, il continue de dépanner les férus de couture dans son petit atelier au fond du quartier de La Mission.

« Quand les gens voient mon atelier, certains disent que c’est le bazar. Mais je m’y retrouve toujours. Un jour, quelqu’un a voulu ranger à ma place… Je ne trouvais plus rien ! »
LE SECRET DE LA LONGÉVITÉ
Impressionnant de vitalité, le vieil homme dégage une force surprenante pour son âge. Les yeux rieurs et les mains noueuses, il nous révèle qu’il est passionné de tai-chi depuis une trentaine d’années et est devenu instructeur depuis presque 20 ans.
« Je fais mon tai-chi pour être en forme, garder la santé. »

Ses cours, qui se déroulent deux fois par semaine, lui offrent un grand moment de joie, d’apaisement de corps et d’esprit.
« C’est un mouvement, une respiration, c’est très important ! »
Nous quittons l’atelier aux mille trésors, où trônent des centaines de machines d’un autre temps, persuadés d’une chose : si Monsieur Lee a su garder son âme d’enfant, c’est avant tout car il n’a jamais cessé de faire ce qui l’amusait, et qui le passionne toujours…

« J’aime bien la mécanique, c’est mon hobby ! »
¹ C’est au début du xxe siècle que se constitue véritablement une communauté chinoise en Polynésie française – essentiellement hakka (à 85 %), mais aussi cantonaise punti (bendi) –, au cours de deux grandes vagues d’immigration d’hommes et de femmes, de 1907 à 1914, puis de 1921 à 1928.
2 Le Centre d’expérimentation du Pacifique
3 La plus ancienne Librairie de Tahiti, depuis 1936

Rédacteur
©Photos : Cartouche Louise-Michèle pour Hommes de Polynésie
Directeur des publications : Yvon Bardes
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