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Portrait

Jacques Navarro-Rovira : confessions intimes du plus primé des documentaristes du paysage audiovisuel polynésien (3/3)

Publié le 4 août 2019

C’est un « beau geste » que nous accorde ce diplômé d’ESSEC à l’origine de la société de production parisienne « Les Films du Sabre ». Un Lyonnais venu s’installer à Tahiti en 1995, qu’il connaissait déjà pour y avoir démarré en 1984 l’ICA (1). Il deviendra le producteur et réalisateur le plus primé du FIFO (2), festival né en 2004.  Hommes de Polynésie a tenu à rendre hommage par une trilogie, à celui qui a édifié avec d’autres les bases de ce qui deviendra l’ATPA (3).

Troisième partie

PAPA EN 1987

Mais l’expérience la plus intense de sa vie reste à venir. En 1987, Jaques est à Paris et se rend souvent à la Maison des amis de l’Asie du Sud-Est. Un soir, après un dîner, Jacques raccompagne chez elle une des convives. Cela durera plus qu’un « dernier verre » et ils se reverront une petite semaine après.

Jacques doit se rendre urgemment à Lyon, pour retrouver sa grand-mère Louise qui vit ses derniers instants. Un mois plus tard, il reçoit un coup de fil de la jeune eurasienne :

« Je suis enceinte, qu’est-ce que tu veux faire ? Moi je préférerais le garder, mais je ne te demanderai rien en retour.»

Jacques ne se sentait pas suffisamment mature pour élever un enfant, mais il laissa la décision à celle qui devait le porter.

La décision est prise de le garder, et ils se reverront épisodiquement pendant sa grossesse. Puis arrive le jour de l’accouchement, une césarienne programmée dans une clinique du 13èmearrondissement. Une infirmière lui propose de voir son enfant. Il se rend au service des prématurés et regarde dans une petite couveuse. « Comme dans les films », il reste béat d’admiration devant son fils : Charles, Dimitri, Moana.

« Je suis retourné à mon bureau, on était en septembre, c’était l’été indien, une météo splendide…J’ai mis les essuie-glaces croyant qu’il pleuvait, mais c’était moi qui pleurait comme une madeleine ! »

Et là, tout en conduisant, il prend une décision :« Tu vas dire au revoir à toutes tes autres copines et tout le monde à la maison ! » Un changement radical dans sa vie ! Il voulait offrir à son fils le meilleur de lui, l’accueillir dans le respect, faire face à ses responsabilités et lui offrir l’image d’un couple de parents qui s’aiment et qui l’aime. Avec Françoise, ils vivront trente ans ensemble avant de s’unir officiellement en janvier 2018.

En 1995, retour à Tahiti

Il rachète un autre voilier de 16 mètres, jette l’ancre à Moorea et s’y installe pendant 6 ans, dont 2 ans à sillonner les eaux polynésiennes. C’est Hina Sylvain qui lui remet le pied à l’étrier en 1999 avec RFO. La direction souhaite traiter le sujet du passage de l’an 2000 à Tahiti.

« Et moi je proposais un scénar de doc très fictionné, avec des journalistes de la société, en l’occurrence Tepiu Bambridge qui jouait son propre rôle et qui s’intitulait  » 50 jours avant l’an 2000 « . Le film a plu, et j’ai débuté comme ça ! »

« Aito Kultur », présenté par Karl Reguron, marque véritablement son lancement au fenua. Suivra une émission quotidienne de trois minutes « Anapa », 151 épisodes (7000 diffusions). Il réalise ensuite un film sur l’exposition de Gauguin en 2003, qui sera sélectionné pour le premier FIFO 1 l’année d’après. Présidé par Hervé Bourges, la Maori Rena Owen fait partie des membres du jury.

« On avait un peu sympathisé et elle me dit :  » Votre film n’aura pas de prix ! Gauguin n’est pas un Polynésien. » »

Le vrai déclic à sa carrière de documentariste sera ce premier FIFO, qui n’avait reçu aucun film polynésien. Il décide alors de réunir les professionnels de l’audiovisuel, et la question du financement arrive très vite en tête de liste des points noirs du secteur. Ils s’adressent au gouvernement, pour demander la mise en place d’un fond destiné à la production locale. Réunis en association, les professionnels vont faire du lobbying auprès des autorités du pays, à une époque où la population vivait son Taui 2 . En 2007, une fois le gouvernement stabilisé, l’APAC 3 voit enfin le jour : un fond pour le secteur de l’audiovisuel, d’un montant annuel de 100 millions de francs.

« Entre ce que donnait une chaîne, l’apport en industrie et l’APAC, on pouvait commencer à avoir 5 ou 6 millions pour démarrer des projets. »

Jacques se spécialise dans la production et la réalisation de documentaires à partir de 2006, et c’est soutenu par l’APAC que sort son premier 26 minutes : « Horo’a, le don » avec Coco Hotahota. Un produit 100% local qu’il présente au FIFO, devant des films à gros budgets néozélandais, australiens et français. Il remporte le grand prix du jury en 2008 dans la catégorie « Films en compétition ».

« On n’était pas peu fiers ! De plus en plus de dossiers arrivaient à l’APAC, et chaque année des films documentaires locaux étaient sélectionnés. La seule année où je n’ai pas fourni de film, c’est en 2015, quand j’étais membre du jury présidé par Yann Kounen. »

Jacques connaîtra un francs succès, salué par les critiques et le public. Il recevra 5 récompenses : deux prix du public, un grand prix du jury et deux prix spéciaux du jury.

« On ne fait pas un film pour gagner un prix dans un festival, on fait un film parce qu’on traite un sujet qui nous plaît. Après 25 documentaires, 20 films de fiction et plus de 100 films institutionnels, à 69 ans, j’ai autant de doutes que quand j’ai fait mon premier film. Je n’ai jamais aucune certitude avant que le film ne soit terminé. S’il plait, notamment au public, on est content et ça donne envie de continuer. Et s’il ne plait pas ,je me dis « les gens ne m’aiment pas ! » parce que quand je fais un film, je suis à 100% dedans, mon film c’est moi !»

Son film « Alors on danse », où il met en scène deux professeurs de danse et des élèves avec un handicap, a obtenu sept prix internationaux : « Le but de ce film était d’apporter ma petite pierre au changement du regard des gens sur le handicap, qu’ils ne soient plus les mêmes après avoir vu le film ». Il présentera le film à un maximum de festivals à travers le monde afin de multiplier les audiences.

Pour Jacques, dans ce métier, sortir du lot et se démarquer, ça passe d’abord par l’écriture et par l’intention qui anime le réalisateur. « Faire un film, en particulier du documentaire d’auteur, c’est porter un regard personnel sur une problématique ou un personnage spécifique. C’est ne pas être dans l’objectivité journalistique. »

Au bout de deux heures, notre entretien avec ce documentariste passionné s’achève sur cette ultime pensée:

« Les Polynésiens ont une chance inouïe d’avoir des femmes comme les Polynésiennes autour d’eux. Ce sont des femmes extrêmement fortes, premières à supporter la cause de leur mari, de leurs enfants. Donc qu’ils les traitent bien, comme elles doivent l’être, et puis qu’ils transmettent à leurs enfants cette culture absolument merveilleuses et si puissante, parce que si elle venait à disparaître face à la mondialisation, ce serait un pas de plus vers la bêtise humaine ! »

1 Festival International du Film Documentaire Océanien

2 Changement

3 Aide à la Production Audiovisuelle et Cinématographique

Jeanne Phanariotis
Rédactrice web

© Photos : Hommes de Polynésie

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