Romy Tavaearii : « il y a urgence à réveiller les consciences »
Romy Tavaearii est un homme de terrain et de connaissances. Le subdivisionnaire des Ressources Marines pour les Iles-sous-le-Vent a œuvré 18 ans à la gestion des massifs forestiers au sein de la Direction de l’Agriculture. Investi de longue date dans la valorisation du patrimoine polynésien, il présente à Hommes de Polynésie l’association Tuihana.
Pour transmettre la connaissance de ce patrimoine naturel et culturel en perdition, l’association Tuihana voit le jour en 2005. Implantée à Raiatea, elle prend sous son aile la tiare Apetahi .
Une fleur porte-drapeau
Endémique de Raiatea ¹, la tiare Apetahi en est son symbole omniprésent. Imaginez-vous en visite sur l’île sacrée. En descendant de l’Apetahi Express, vos pieds foulent les motifs en pierre d’Apetahi dessinés sur les quais. L’appétit creusé par la traversée, vous vous dirigez vers la boulangerie « Bon Apetahi » quand vous apercevez votre amie Apetahi venue vous accueillir. Pas une enseigne ou un lobe d’oreille qui n’expose la blancheur éclatante de cette fleur en forme de main.
« À 14 ans, je grimpais au mont Temehani qui culmine à 800 m et j’en revenais avec un bouton floral. Il était la preuve que j’étais monté là-haut. En me pavanant avec, je lançais le message : « Je suis de Raiatea » puisque la fleur, unique au monde, ne pousse pas ailleurs. Ce signe d’appartenance à Raiatea est repris par quantité de personnes, d’entreprises, d’associations en Polynésie et même ailleurs. »
Pourtant, la belle se meurt.
« Sur l’ensemble des deux plateaux, Temehani rahi et Temehani ute ute, il resterait moins d’une trentaine de pieds vivants alors qu’en 1995 le recensement faisait état de 2500 pieds. Depuis cette date, elle est classée espèce protégée. Hélas, nous disposons de très peu d’informations sur son comportement, son environnement, sa pollinisation et sa croissance extrêmement lente, de l’ordre de 2 cm par an. »
Les causes de son agonie sont, elles, identifiées : cueillette excessive par le passé, piétinement des randonneurs, prédation par les rats, les cochons, et, dernier ennemi repéré, attaque d’un champignon bactérien. la dernière fois que Romy a admiré une fleur, c’était en juillet 2022. Malheureusement, le pied qui l’abritait s’est depuis desséché, amorçant son trépas.
Toucher la fleur de l’âge
À partir de 2009, l’association Tuihana a commencé à développer, pour les écoliers, des journées de sensibilisation à l’Apetahi.
« Il s’agissait d’établir une connexion intrafamiliale afin que les adultes s’expriment sur leurs souvenirs. Je me rappelle du témoignage de personnes de la génération de Flora Hart qui racontaient l’incroyable bruit de l’éclosion. À l’inverse, certains parents, natifs de Raiatea, n’avaient jamais mis les pieds là-haut, alors que leurs enfants, ou petits-enfants, ont eu la chance de voir la fleur ! »
C’est au tour des jeunes qui ont profité de ces journées entre 2009 et 2013 de devenir les ambassadeurs de la fleur. Avec leurs mots et leur cœur, ils organisent des ateliers ludiques et pédagogiques au collège Anne-Marie Javouhey ; ces super animateurs véhiculent auprès des élèves de CM1 et CM2 les bonnes pratiques en milieu naturel (ne coupez pas les plantes, identifiez-les, faites la différence entre une espèce envahissante et une autre endémique, etc.) Même si la sortie au Temehani avec arrachage de peste végétale et mémorable bain dans les vasques n’est plus d’actualité ², le pari plus subtil de Tuihana est en passe d’être remporté.
« L’engagement est une valeur essentielle. Il est primordial de le faire naître et de le stimuler chez nos jeunes ».
¹ La plante-mère a donné des filles avec quelques différenciations biologiques aux Australes ainsi qu’aux Marquises.
² À Raiatea, toute sortie scolaire en montagne est suspendue en raison du tragique accident survenu en 2018 sur le mont Tapioi.
Rédactrice
©Photos : Gaëlle Poyade et Tuihana pour Hommes de Polynésie
Yvon Bardes, directeur de publication
