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Évasion

Henry Jay, race de montagnards!

Publié le 30 juin 2019

Saviez-vous que le sommet de l’Orohena avait été en feu ? Que le premier refuge qui mène à l’Aorai fut construit en 1945 ? Ou encore que l’intérieur de l’île cache un trésor végétal ? Henry Jay en a été l’un des observateurs directs avec son père. Dans leur sillage, une poignée d’hommes du siècle dernier, prêts à découvrir l’intérieur de l’île en ouvrant les voies d’accès. Hommes de Polynésie est allé à la rencontre de cette mémoire encore vivante qui a tracé « sa route à travers champs ».

Cité Jay

Contrairement à ce qui se pratique en métropole, il n’existe pas en Polynésie de gestionnaire des refuges de montagnes. Ce ne sont pourtant ni les activités pédestres, ni les randonneurs ou autres adeptes de la marche en montagne qui manquent. Pour connaître l’histoire de ces abris, il faut emprunter une route menant aux hauteurs de Arue, côte Est de Tahiti. C’est là-bas, au bout d’un chemin sinueux recouvert d’aiguilles de pins, qu’une forêt de conifères ouvre la voie vers la maison d’Henry Jay.
Arrivé dans sa cité, on ne peut que s’émerveiller du panorama qui s’offre aux visiteurs: un tapis de verdure à perte de vue. Des pans entiers recouverts de Pinus, papayers, avocatiers, bananiers…. On se sent comme au jardin d’Eden d’un homme qui excelle dans l’art de cultiver son héritage foncier.
Sur la table de sa terrasse on aperçoit des photographies en noir et blanc, éparses, vestiges d’un passé encore bien présent dans la mémoire de ce Monsieur de 74 ans. Ses mains marquées par le labeur de la Terre se posent tour à tour sur des visages, des sommets, des animaux, des plantes… et une quantité d’anecdotes le submergent d’émotions. Henry se souvient bien de chacun de ces moments immortalisés par les images .

« Je suis né en 1945 à Papeete. Jusqu’à mes dix ans, j’ai grandi dans ma famille tahitienne à Mahina où l’on me parlait essentiellement en tahitien, la famille Tuiho, parents de ma mère. »

Vous décrire Henry serait vain, il faut le voir pour se rendre compte à quel point ce fils d’ingénieur a baigné dans la culture polynésienne, dont il est pour moitié le légataire par sa mère, fille de Mahina. A cette éducation très locale succède celle de son père, ingénieur donc et électricien à Makatea, un atoll situé dans l’archipel des Tuamotu.

« En 1955, il m’a dit que ce n’était pas la peine d’aller à l’école, qu’il serait mon professeur ». Son père le retire du circuit scolaire et l’emmène avec lui en France, à bord du dernier bâtiment naval de la messagerie maritime « l’Evident ». Une fois à bon port, ils sillonneront pendant un an les routes de France jusqu’à en faire le tour à bord d’une Land Rover, accompagnés de sa chienne Cali. C’est ainsi qu’il découvrira les paysages montagneux du pays de son père.

« Cela faisait un bout de temps que mon père n’avait pas remis les pieds en France. Il me disait qu’y retourner une fois tous les 30 ans, c’était suffisant ! ».

Son père est arrivé à Makatea en 1925, comme de nombreux travailleurs étrangers venus exploiter les gisements de phosphates de l’atoll ouverts en 1917. Une destination dont il ne repartira qu’à titre exceptionnel. Plus tard, il choisira Arue pour y construire sa propriété.

Il travaillera un temps à l’hôpital « aux rayon X », comme dit Henry, avant de monter un atelier de bobinage pour moteurs électriques : « C’est à ce moment qu’il a connu ma mère qui était à Mahina, c’est comme ça qu’il l’a embobinée. » dit-il avec humour. De son père il a appris les choses pragmatiques de la vie – « comment réaliser les travaux de terrassements, de canalisations, construire des bassins, tout ce qu’il faut savoir pour être autonome ».

La vie en montagne : un mode de vie tout simplement

Henry se tourne vers ses montagnes. Il a dans les yeux cette même fascination qu’il avait enfant, lorsqu’avec son oncle Matara Tuiho, il allait pécher dans les rivières, chasser dans les fonds de vallées et marcher pendant de longues heures sur les sentiers qui le menaient vers l’intérieur de l’île. Une véritable passion familiale « que ce soit du côté de ma mère ou de mon père, tous étaient des montagnards ».

« Avec mon oncle tout jeune on allait déjà dans la forêt de Tuauru couper du bois, du purau, pour faire des bateaux et en même temps il chassait le cochon, il piquait le Haura (chevrettes), il donnait à manger aux anguilles, c’était un champion pour attraper des anguilles. On avait de quoi manger, on était heureux. »

Le patriarche était quant à lui très souvent sollicité dans le cadre de missions scientifiques. Géologues et botanistes ont eu l’occasion d’échanger sur ses observations. C’est donc tout naturellement qu’Henry l’accompagnait lors de ces expéditions. Ils participaient à leur niveau à la conservation des traces du passé en répertoriant sommets, rivières, plateaux, animaux, faune et flore – autant de données bien utiles pour réaliser la carte géologique de l’île.

« A chaque expédition en montagne, nous avions des vieux qui nous donnaient le nom des sites et des lieux. Quand on allait à Papara, ils disaient « Tiens, ici c’est Manunu ! Et là c’était Tiamape. Ou encore là-bas c’est Terepo », le nom d’un autre plateau, et ils nous racontaient toutes les histoires liées à chaque site. C’était une belle époque. Il y avait des orangers partout, c’était splendide. »

De découverte en découverte, Henry devenait malgré lui une encyclopédie vivante de la biodiversité faunistique terrestre de l’île. Il cite par exemple l’endémisme de certaines plantes comme le Toromiho ‘u maamaatai (le fou du large). Une plante rarissime recherchée par la botaniste Marie-Hélène SACHET, qui a la particularité de produire une très grande quantité de sève. C’est au cours d’une partie de chasse qu’il tombe nez à nez avec cette plante qui ressemble à une étoile de mer refermée sur elle-même, formant comme un panier.

Henry grandit ainsi sous le regard instructeur d’un père formé à l’école des jésuites, un homme de la dernière génération « stricte, rude, dur, pas facile à vivre ». Un homme à qui de surcroît « on doit une partie du tracé des routes intérieures, comme celles de la Papenoo et du mont Marau ». Aussi, lorsqu’il entreprend la construction de refuges de montagne en 1945 pendant la guerre avec des missionnaires, il n’était pas question de chômer.

« Le premier refuge était celui de Fare Hamuta, installé à 900 mètres, puis Fare Mato à 1400 mètres, Fare Ata à 1800 mètres, et enfin Fare Moana à 2065 mètres d’altitudes. Une jument blanche, appelée Sérénité, était utilisée pour ravitailler la dizaine de travailleurs qui ouvraient les pistes vers l’Aorai et construisaient le reste des refuges, pouvant accueillir jusqu’à 25 personnes. »

OROHENA EN FEU

Les nombreuses parties de chasse, de pêche, ou les expéditions scientifiques ont beaucoup marqué Henry, mais pas autant que l’incendie de l’Orohena. « Quand le sommet de l’Orohena a cramé, c’était dans les années 1980. On n’a jamais su comment ce feu avait été déclenché mais cela s’est passé lors d’une période de sécheresse exceptionnelle !» raconte-t-il avec une émotion non dissimulée.

Le récit d’Henry se tourne ensuite vers une activité propre aux gens de la montagne : la Chasse. Jadis, elle était pratiquée avec des chiens, et les chasseurs n’étaient armés que d’une lance avec au bout une pointe ou un couteau.

« Mon grand-père qui était à Mahina chassait le cochon sauvage sans fusil, mais avec un couteau et une cohorte d’une dizaine de chiens. Lorsque la proie se réfugiait dans les bosquets, il coupait un bambou, l’attachait au bout de sa lance et tuait l’animal pris au piège. Si à l’époque il utilisait des pièges, aujourd’hui la pratique est interdite »

Un arrêté pour encadrer la chasse avec chiens sera rendu effectif dans les années 1960, complété d’un code de bonne conduite établi par M. Soroquere Guilbert, « le grand patron de l’agriculture ». Il a été chef de la section forêt du service de l’économie rural. Arrivé le 18 Janvier 1968 il restera en poste 6 ans.

« C’est comme ça que nous avons arrêté la chasse aux chiens dans la vallée de Papenoo, parce qu’ils tuaient aussi bien une truie pleine qu’une truie en devenir. Ce n’était pas bon pour la population de cochons sauvages. Parfais les chasseurs laissaient leurs chiens en montagne entre 3 à 4 jours, et pour leur survie ils se nourrissaient de petits cochons »

« Les cochons étaient beaux »

Henry n’est pas nostalgique, il vit comme il a toujours vécu : en accord avec les principes de la nature. Ce qu’il déplore, ce n’est pas tant l’invasion dévastatrice du Miconia, les cyclones ou encore d’autres phénomènes naturels. Ce qui le mine, c’est qu’il n’y a pas si longtemps, il y avait des orangers partout et les cochons étaient beaux. Ils faisaient des trous énormes pour se nourrir de racines et autres tubercules avec une préférence pour le ti, racine des auti.

A ce jour seuls quelques rares tubercules poussent à l’état sauvage, le Miconia étant passé par là. « D’ailleurs, dans la Papenoo, le cochon que tu trouves n’est pas gras, il est maigre. Ce n’est pas le cas aux abords de l’île parce qu’on y trouve des avocatiers, des cocotiers, des mape mais à l’intérieur tout a été envahi par le Miconia. » La solution d’épandre un champignon pour lutter contre la prolifération de ce nuisible ne permettra pas sa neutralisation selon Henry, qui redoute que ce procédé ne tue encore plus d’espèces.

HISTOIRE A SUIVRE

La Cité Jay est déjà dans notre dos, mais les mots du vieil homme qui nous salue résonnent encore : « Au nom de ces pionniers des sentiers de l’intérieur de l’ile, Teuira de Mahina, Pori de Papenoo, Pahua des Marquises et bien d’autres qui sont partis avant eux… Tenez propres nos vallées, ne les polluez pas !  Conservez, partagez et diffusez votre savoir !»

Jeanne Phanariotis
Rédactrice web

© Photos : Hommes de Polynésie

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