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Art & Culture

Henri Theureau, passeur de littérature anglaise du Pacifique

Publié le 1 février 2024

On lui doit, entre autres succès, Panne sèche, Tupaia et la trilogie de L’Arbre à pain, textes incontournables de la littérature océanienne. À 81 ans, ce professeur d’anglais a traduit près d’une trentaine de livres et il est tout sauf à la retraite ! Résident de Polynésie française depuis plus de trente ans, Henri Theureau évoque pour Hommes de Polynésie ses découvertes et les trésors qu’il a eu la chance de traduire.

« Il y a deux choses qui sont intraduisibles, l’humour et la poésie. C’est pour ça qu’il fallait que j’essaye. »

Écouter Henri, c’est comme remonter un fleuve, on ne sait jamais où ses méandres vont nous mener. Telle est sa vie, parsemée d’anecdotes exotiques, de rencontres imprévues et de situations cocasses. C’est son côté hotu painu.

« Le hotu est le fruit du Barringtonia et painu veut dire sans attache ; je suis comme ces cocos qui flottent à la dérive sur l’océan. Originaire de Saône-et-Loire, j’ai grandi dans les forêts du Morvan sans m’attacher vraiment à mes origines. J’ai vécu mon adolescence dans le Dauphiné, enseigné en Angleterre, en Bretagne, en Tunisie, aux Nouvelles Hébrides, à Grenoble dix ans. En fait, j’ai le sentiment d’avoir plein de racines différentes, ce qui est aussi une richesse. »

Après un premier séjour de neuf ans en Polynésie française et aux Nouvelles Hébrides – l’actuel Vanuatu – notre prof d’anglais renoue avec la Polynésie à la fin des années 1980, s’installant définitivement à Raiatea où il épouse une Tahitienne.

Le goût du multi-niveau

« J’ai eu la chance de presque toujours enseigner à la fois en collège et en lycée, aux petits comme aux grands. Passer des 6e aux 1ère, ça casse la routine. J’adore les gamins de 6; à la fin de l’année, tu sais ce que tu leur as appris. Quand tu es prof, tu passes ton temps à essayer de trouver les mots qui “passeront la rampe” ; trouver les mots qui correspondent à ce que tu dois faire passer, c’est déjà de la traduction. »

Ses débuts au collège-lycée de Uturoa se font dans le sillage des enthousiasmes de Mai 68 et dans le cadre des activités de la FOL, la Fédération des Œuvres Laïques.

« On était “une bande de chouettes copains”, comme disait l’autre. On avait une énergie pas possible. On faisait autant de périscolaire que d’enseignement. Atelier théâtre, atelier photo, club de voile et bien sûr groupes de danses polynésiennes ! En trois ans, on a fait un boulot fantastique avec les gosses. Les trois-quarts de nos Terminales sont partis en France suivre des études. C’est simple, en 1970, la moyenne d’âge des profs au lycée de Uturoa était de 30 ans. Quand je suis revenu en 1988, elle était de 50 ans. »

Ses débuts de traducteur

« Quand on traduit, on doit rendre compte de la signification mais également donner à la phrase le rythme et la mélodie qui conviennent. Sinon, comme disent les Tahitiens, « c’est pas joli. »

En 1991, par concours de circonstances, il est amené à traduire des romans pour adolescents chez Hachette Jeunesse. Au bout de dix ans, il décide de s’attaquer à plus difficile. Le premier livre dont il se saisit s’intitule A Dream of Islands de Gavan Daws, un Australien devenu l’historien officiel de Hawaï. Un rêve d’îles constitue une suite de biographies de célébrités du Pacifique : John Williams, missionnaire anglais fondateur de la ville de Uturoa, Walter Murray Gibson, mormon, escroc et premier ministre du dernier roi de Hawaï, Herman Melville, Robert-Louis Stevenson et Paul Gauguin. Pour le plaisir, Henri traduit l’ouvrage dans son intégralité, pensant qu’il devrait intéresser un éditeur local.

« Traduire, c’est un exercice qui me plaît car, comme l’avait annoncé mon instituteur à mes parents qui ne savaient trop quoi faire de moi, “Votre fils a une grammaire dans la tête”. Et il m’avait offert un petit livre d’initiation à l’étymologie, que je possède encore. Incroyable, non ? Pour moi, la grammaire est une sorte de sport, une gymnastique de l’esprit. C’est heureux, car je suis nul en maths. En anglais, un ordinateur s’appelle computer, qui veut dire calculette. En français, on dit ordinateur, machine qui sert à ordonner les choses. C’est ça que j’ai dans la tête, une machine à mettre les mots en ordre. »

Le défi de L’Arbre à pain

Vers l’an 2000, Henri découvre fortuitement Breadfruit, le premier roman, écrit en anglais, d’une Tahitienne émigrée en Australie. Il la contacte, et six mois plus tard s’envole vers Sydney, sa traduction de L’Arbre à pain sous le bras.

« Avec Célestine Hitiura Vaite, je me suis senti auteur car j’ai réellement fait un travail de création. On a bossé ensemble, page à page, pendant 10 jours. Son bouquin est très drôle à cause des tournures françaises qui, fatalement, font rire le lecteur anglais. Mais cela m’a posé d’énormes problèmes de transposition. J’ai choisi d’utiliser le français légèrement créolisé qu’emploie ma famille tahitienne. Et Célestine a été ravie : “Oui, c’est comme ça qu’on dit chez nous !”. Dans la foulée, j’ai traduit, toujours avec son aide, les deux autres volumes de la trilogie. »

Célébrité du catalogue polynésien, L’Arbre à pain s’est vendu à plusieurs milliers d’exemplaire, ce qui en fait un “best-seller” au fenua. Et il continue à se vendre au même rythme vingt ans après. Il est maintenant réédité en France dans une collection de poche, ce qui constitue une consécration.

Autre consécration, en 2005 La Sagaie d’Henderson et en 2007 Chroniques des jours à venir, deux romans de Ronald Wright, écrivain anglo-canadien, publiés en France chez Actes-Sud, sous l’égide d’Alberto Manguel, aujourd’hui directeur de la Bibliothèque Nationale de la République d’Argentine. La Sagaie est sans doute le seul roman au monde dont la scène-clé se déroule sur Temehani, à Raiatea. Il ne faut pas manquer ça !

L’aventure de Panne sèche

L’émergence de l’informatique et d’Internet au début des années 2000 facilite considérablement les recherches du traducteur, qui abandonne avec nostalgie sa vieille Olivetti de voyage. Lorsque Sandy Winkler, le fondateur de la galerie d’art de Pape’ete, lui parle de No more gas, un roman datant de 1939, Henri débusque le texte sur la toile et le traduit derechef. Hélas, en raison de malentendus du côté des héritiers de Norman et Hall, cette comédie tahitienne époustouflante devra patienter dix ans avant d’obtenir les droits de traduction et de susciter l’enthousiasme des lecteurs français.

« Finalement, Panne sèche paraît en 2012 aux Éditions ‘Ura avec qui j’entame une belle collaboration : leur catalogue comprend notamment Un rêve d’îles, Tupaia, le pilote polynésien du capitaine Cook, Un âge d’or, Tahiti 1920-1923 ou encore Une vie à Pukapuka de Robert Dean Frisbie. »

Des manuscrits en attente

La tête pleine de projets, le traducteur espère la sortie prochaine de Charmes et Sortilèges, le premier roman hakka de Tahiti, écrit en anglais par Lillian Howan, une Chinoise tahitienne émigrée aux USA.

À l’issue de 25 années de traduction et quelque 28 ouvrages signés, le récent octogénaire ne semble pas avoir encore atteint la date de péremption tant il continue de nous offrir certaines merveilles oubliées de la langue anglaise et de l’histoire polynésienne. Conquis par la beauté des vers de Rupert Brooke, mort pendant la Grande Guerre peu après un voyage à Tahiti, Henri Theureau a publié une autoédition bilingue de la totalité de l’œuvre du jeune poète anglais sur la plate-forme KDP-Amazon. Quelle sera sa prochaine livraison sachant que ses cartons sont remplis de récits divers, histoires de vie et même de recueils personnels de poésie ?

Gaëlle Poyade

Rédactrice

©Photos : Gaëlle Poyade et Henri Thereau pour Hommes de Polynésie

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