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Art & Culture

Gregorio - Hommes de Polynésie

Gregorio Pordea, créateur de l’œuvre « vague de Teahupoo »

Publié le 18 octobre 2018

Zoom sur un artiste méconnu du public : Gregorio Pordea. Inconnu ? Pas tant que ça. Du moins, ses œuvres. Elles ont réussi à s’imposer dans le paysage polynésien. La plus célèbre, trône au PK0 de la presqu’île : la vague de Teahupoo. Il y a également « Anani » le porteur d’orange installé au rond-point de la mairie de Punaauia. Sa dernière création, 12 mètres de haut, fait face à la mer à… Nuku Hiva. Hommes de Polynésie vous brosse son portrait.

« Les artistes sont l’expression de notre culture, ils écrivent l’histoire de demain. »

Élève de Cardenas

Jamais sans son press-book, recueil de photos et d’articles, Gregorio nous reçoit dans son atelier conçu en bambou.

« Je viens du pays basque, entre Bayonne et Biarritz. Mes parents ont voulu m’élever à leur façon et moi j’ai voulu m’élever à ma façon, c’est-à-dire faire ce qui me convenait le plus et ce qui me convenait le plus c’est la créativité. »

Gregorio a 16 ans lorsqu’il s’émancipe. Il trouve un logement, apprend à cuisiner, lave son linge et se déplace avec un vélo solex 3008. Il sait parfaitement ce à quoi il veut se destiner.

« L’art plastique m’a attiré. Je voulais travailler les volumes. Et ma sœur était baby-sitter chez un artiste très connu, Cardenas de Cuba1. Il avait un atelier en Italie, une carrière de marbre. Il y allait en vacances. Une fois, je devais avoir 14-15 ans, je me suis introduit dans l’atelier, qui était fermé à clef, je savais où elle était cachée et j’ai pris un ciseau à bois pour travailler les formes en l’imitant. »

Il laisse l’œuvre inachevé. Cardenas rentre de vacances et voit son travail. Il dit à sa sœur : « Il y a un truc bizarre, ça, ce n’est pas moi qui l’ai fait ? Quelqu’un est entré dans mon atelier ? » La sœur de Gregorio connaissant son frère fait très vite le rapprochement entre l’objet et Gregorio. Ce dernier, prenant son courage à deux mains, avoue tout à Cardenas.

« Et puis je me suis lancé, je lui ai demandé s’il ne voulait pas me donner des cours, il a m’a répondu pourquoi pas et j’ai commencé en Italie par travailler le marbre. »

Cardenas avait ouvert plusieurs ateliers où étaient débités des blocs de marbre. L’équipe utilisait un équipement spécifique comme un marteau piqueur hydraulique. Le jeune Gregorio se voyait déjà l’outil à la main débitant la roche.

« Mais au lieu de ça il me tend le maillet en plomb de 1,600kg, une râpe, et avec ça cinq ou six outils. Ensuite il me montre un coin de l’atelier et me dit c’est là que tu te mettras et je t’interdis de toucher aux machines. Donc j’ai commencé par tout faire à la main. »

Le grand départ

Gregorio gagne en assurance jusqu’à exposer ses sculptures dans le hall de la mairie. Il s’initie à la photo avec le studio DOREL à une époque où 170000 photographes se disputaient les parutions dans le catalogue de la Redoute et les revues érotiques. Beaucoup trop de concurrence à son goût. Il se met en tête de partir loin de toute cette agitation.

« Je me suis présenté à une agence de voyage. Quand j’acheté le billet d’avion j’ai demandé un aller simple, le moins cher et le plus loin. Au guichet on me répond qu’il y a un charter par la Suisse et de Genève direction Pérou. »

Il traverse tout le pays en bus. Il verra le lac Titicaca, le Machu Picchu. Il passe la frontière brésilienne, de la Patagonie, la Guyane. 9000 kilomètres en stop aux côtés de camionneurs armés. Une fois en Guyane il se lance dans la déco. Sur place il rencontre un argentin, il lui enseigne le macramé alors à la mode dans les années 1970.

« J’ai fait les hémisphères les plus chauds de la planète, l’Océanie, l’Amérique du sud, les caraïbes, et puis j’ai trouvé la nature luxuriante de Tahiti où je pouvais avoir la matière première pour mes créations. »

La Polynésie terre d'inspiration

Ainsi avoir visité 80 pays, effectué deux fois le tour de la planète, travaillé dans 60 pays, c’est finalement le corail, le bambou, les pierres et le bois noble de nos latitudes qui incitent Gregorio à jeter l’ancre dans nos eaux ! Il s’installe à Papenoo où il édifie une structure entièrement en Bambou. Il s’agissait de sa première maison. Sa preuve d’amour à sa vahine. L’amoureux a trouvé dans cette abondante nature une source infinie d’inspiration.

« En 1986, j’ai exécuté un projet pédagogique qui a nécessité un travail de prélèvement très important c’était le lagonarium. Il s’agissait de réaliser un endroit destiné aux élèves des écoles primaires. Un assemblage d’éléments naturels prélevés sur la plage de Temae. Avec un décorateur nous avons imaginé Neptune au plafond, avec une sirène. Le bâtiment a 30 ans. »

Gregorio a à son actif le Fare Natura, Taaroa et sa perle, deux œuvres encore visibles à Moorea.  La boutique Sibani Pearl, l’entrée du camps d’Arue, le diadème, le Tiurai de la bijouterie Michel Fouchard, une arche de corail pour Paul-Emile Victor, mais aussi la vague de Teahupoo. La liste n’est pas exhaustive car au-delà de notre barrière de corail, Gregorio a œuvré aux Caraïbes, Miami, Saint Martin ou encore Biarritz avec une discothèque ou bien la réplique du bateau d’Hemingway. Aux Seychelles il remporte un titre : le record de macramé le plus long jamais réalisé. L’ouvrage a nécessité 2 kilomètres de cordes et mesure 8 mètres de haut. En Nouvelle Calédonie il réalise le buste de DJIBAOU en plâtre. Mais il est un projet qui lui tient particulièrement à cœur : le projet Manuarii.

« En 1987 la tendance était aux îles, à la plage, au surf et Tetiaroa était en vogue à ce moment-là. J’avais en tête de réalisé un bâtiment écologique dans l’idée de ce que voulait créer Marlon Brando. Alors avec mon ami décorateur nous avions fait l’ébauche de ce qui devait être un projet d’habitation. Et puis finalement l’habitat devient un centre de recherche biologique, une université biologique avec un bateau à fond de verre. Bref quelque chose de ludique en rapport avec l’île au te manu. »

70% des composants étaient issus de la nature, une volière géante était même envisagée mais le projet n’a pas vu le jour faute de moyen.  Sa maquette est conservée sous cloche dans l’attente d’un potentiel investisseur. Aujourd’hui Gregorio rêve la nuit de nouveaux projets, de nouvelles réalisations, des habitations correspondant à l’urgence de changer de mode de vie.  En attendant Gregorio rend visite à ses chefs d’œuvres auxquels il est très attaché.

« Je n’ai pas d’enfants, mes créations sont mes enfants. Alors quand je passe devant eux, comme le porteur d’orange, je ne passe jamais dans le tunnel, je fais toujours le tour du rond-point pour lui dire « Bonjour Anani c’est moi c’est papa ! ».

1 Cardenas né en 1927 à Cuba, élève de Juan Jose Sicre de l’école d’Antoine Bourdelle, est considéré comme l’un des plus grands sculpteurs cubains. Il travailla le marbre, le granit et le bronze. Ses œuvres sont exposées au Musée nationale des Beaux-arts de la Havane et aux musée d’Arts moderne de Tokyo, Tel Aviv et Paris.

Jeanne Phanariotis
Rédactrice web

© Photos : Hommes de Polynésie

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