Edfry Motahi, costumier par essence !
Nous l’avons repéré lors de la dernière élection de Miss Tahiti, grâce au somptueux costume végétal qu’il avait réalisé pour une des candidates. Même s’il n’a pas été primé, Edfry Motahi a su se faire remarquer. Il venait de réaliser son rêve et cet évènement était déjà comme un aboutissement de sa passion. Il raconte son parcours à Hommes de Polynésie.
UN ENFANT DE PAPENOO
Edfry est né en juillet 1981 à Papeete. Il a grandi à Papenoo, un endroit inspirant dont il nous parlera souvent au cours de notre rencontre. Sa passion, la confection de robes et la couture en général, remonte à son enfance dans sa commune, où, déjà très petit, il dessinait des modèles dans des cahiers ou sur des bouts de papier.
« À cette époque, je dessinais des robes dans mon coin. Ça me permettait de m’évader. C’était mon jardin secret. »
Edfry était sévère envers ses dessins. Il ne les aimait pas. Pourtant, à l’adolescence, il commence à en montrer quelques-uns à son entourage familial, uniquement à des femmes, ne voulant pas affronter les critiques des hommes.
Edfry est māhū (1): il a toujours eu une sensibilité féminine, il adorait d’ailleurs coiffer et maquiller ses cousines. Enfant, il ne manquait aucune élection de Miss Tahiti ou Miss France, mais avec un intérêt tout particulier pour les costumes végétaux locaux. Il se lance donc dans la réalisation de costumes, notamment pour les fêtes de sa paroisse.
« J’ai dansé avec Nonahere, et je me suis essayé aux costumes de danse, en découvrant petit-à-petit les matériaux naturels. »
LA RENCONTRE AVEC UNE JEUNE FILLE DE LA PAROISSE
Il va de découverte en découverte, essayant à la moindre occasion de nouvelles techniques de création. Et puis un jour, un déclic se produit grâce à une autre enfant de Papenoo : Herevai Hoata, Miss Hitia’a o te Ra 2019, que tout le monde encourage à se présenter à l’élection de Miss Tahiti.
« C’était un peu notre bébé de la paroisse et nous étions nombreux à nous dire que, toute petite déjà, elle ferait un beau parcours. Pour l’élection de Hitia’a o te Ra, j’ai réalisé sa tenue végétale, uniquement composée de 10.000 graines des Marquises qu’il fallait percer, filer… »
Le thème de l’élection Miss Tahiti venait d’être rendu public : la femme amazone… Aussitôt Edfry se met à cogiter et commence par trouver les couleurs. Il attaque des croquis mais n’est pas satisfait tout de suite. Il pense aussi à celle qui portera sa création, Herevai, et avec qui il échange sur ses croquis.
« Au final, j’ai réessayé plusieurs fois jusqu’à obtenir mon croquis final, mon prototype, que j’ai fini par réaliser. C’était un travail de deux jours sans dormir, mais un beau travail, avec de la satisfaction, mais aussi du stress par rapport à l’opinion des gens. »
Le jour J de l’élection de Miss Tahiti, Edfry est caché dans les gradins, anonymement, et attend avec beaucoup de pression le passage de sa robe végétale sur sa candidate, guettant la moindre réaction du public. Sa plus grande satisfaction a été de voir que ce soir-là, même si elle n’a pas remporté de prix, sa tenue a été vue par des milliers de personnes.
DU 100% FAIT MAIN
Edfry a une vision précise du résultat final qu’il veut obtenir, et une manière personnelle de ressentir les matières :
« Je fais tout à la main avec une aiguille et un fil, sans machine à coudre. Je sens mieux les matières, et même si parfois je pique mes doigts, ce n’est pas grave : c’est un mal pour un bien. »
Il se souvient de sa première tenue végétale, qu’il avait réalisée pour une prestation de danse de sa nièce, à base de opuhi (2) roses et rouges. C’était en 2011… Un savoir-faire qui suppose une parfaite connaissance des végétaux utilisés, leur durée de vie, la manière dont ils peuvent vieillir… Edfry a beaucoup d’admiration pour les tenues que réalise Nels, mais il a un faible pour celles de Maruia Holozet, qui est un exemple pour lui.
« La base d’une tenue végétale c’est du tissu, sur lequel soit on coud, soit on colle, sans parler des éléments qu’il faut préalablement tresser. »
Et c’est aussi une grande chaîne de solidarité, puisque la récolte de tous les matériaux nécessaires met beaucoup de monde à contribution, chacun apporte ce qu’il peut et participe ainsi, à sa manière, au résultat final. Il faut également tenir compte du poids de la tenue, qui devient vite très lourde pour des jeunes filles souvent menues. Pour que la robe soit mise en valeur, il est important que la personne qui la porte se sente à l’aise.
UN TRAVAIL POUR MANAHAU
Mais l’œuvre d’Edfry comporte aussi d’autres réalisations, comme cette prestation assez audacieuse en 2016 pour la troupe Manahau dans la cadre du Hura Tapairu. Il s’agissait de faire les tenues pour 15 danseurs sur 4 tableaux, soit au total 60 tenues en très peu de temps.
« Je me suis éclaté ! j’ai utilisé des paillettes, du carton, du papier d’emballage, des choses recyclées, du câble électrique… ainsi que des tenues végétales, tout cela à réaliser en une semaine, et bien sûr, entièrement à la main ! »
A son actif, on compte également, les costumes du Heiva de Hitia’a o te Ra pour la commune de Papenoo en 2017.
LA DIMENSION CULTURELLE DES CRÉATIONS
« Ma culture je la pratique, je la chante, je la danse. Ce n’est pas seulement savoir parler le re’o tahiti ou le marquisien. C’est l’accueil, le sourire, le partage. C’est tout ce qui a tendance à se perdre aujourd’hui. À Tahiti, et en particulier dans la zone urbaine, tu n’entends plus les Polynésiens t’inviter spontanément à boire le café. Je suis très attaché à mon identité mao’hi sans pour autant renier ma part d’identité française. »
Edfry raconte que sa commune, Papenoo, est une terre d’accueil pour les exilés, les prisonniers, les rejetés de la société. Dans sa paroisse protestante, on y chante la terre, les dieux mao’hi… Sur les marae on ressent vraiment le mana, tout comme à Fare Hape, au cœur de l’île, accessible par la vallée de la Maroto, lieu géré par l’association Haururu et qui est idéal pour se ressourcer. Sa communauté vit aussi dans le respect des matahiapo (3) – c’est ainsi qu’il résume l’âme mao’hi, basée, finalement, sur le respect et l’esprit de famille.
L’AVENIR
Parmi ses rêves, on compte tout naturellement celui d’habiller la prochaine Miss Tahiti, mais aussi de créer une robe de mariée végétale, qui serait composée de reva reva, cette pellicule fragile que l’on récupère sur les feuilles de niau qui blanchit en séchant.
Le talent d’Edfry est bien parti pour émerveiller les foules par ses créations végétales, chatoyantes, et spectaculaires, au gré de futurs spectacles ou élections de Miss.
- māhū : Personne du troisième genre/sexe polynésien
- opuhi : L’Alpina purpurata est une fleur de Tahiti
- matahiapo : Les anciens
Laurent Lachiver
Rédacteur web
© Photos : Laurent Lachiver, Edfry