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Art & Culture

Ennio Neagle : « c’est primordial de connaître son histoire. »

Publié le 10 janvier 2019

Artiste du fenua modelé au graffiti, Ennio Neagle est peintre, tatoueur, musicien et poète. Il nous conte la culture polynésienne, pas dans le sens « quête identitaire mais bien dans le partage ». Dernière création en date : une écriture inspirée des motifs marquisiens. Hommes de Polynésie a poussé la porte de son univers pour laisser une « trace de sa parole ». 

Pas facile de parler de soi quand on ne sait pas encore qui l’on est ou qui nous souhaitons devenir. A 31 ans, Ennio se cherche et se découvre une multitude d’aptitudes. Une chose pourtant est sûre : L’art est son univers.

MODELE AU GRAFFITI

Tout commence par une révélation. Elle se présente sous la forme d’un reportage. Le 4 avril 1990, la rédaction d’Envoyé Spécial diffuse « Rap and Tag ». Le sujet parle du tag comme « l’une des formes de culture » de cette fin de 20ème siècle. La tendance se vérifie à Tahiti 10 ans plus tard. Le documentaire est projeté à des collégiens de Lamennais. Entre le graff et Ennio c’est le coup de foudre.

 « C’est vraiment le graffiti qui m’a modelé »

Les murs de son établissement s’en rappellent encore… Ennio est décidé, il veut tout savoir de l’Art. Il s’envole direction Toulouse pour une année préparatoire et accède à l’Ecole supérieur d’art et de design d’Amiens. L’établissement, spécialisé en graphisme et typographie, le forme au virtuel. Diplômé, il obtient un poste de graphiste à Paris. Mais entre le boulot et lui la fusion n’opère pas.

« Une fois sur le marché du travail, ce n’est pas comme à l’école, la partie créative est mise de côté et le virtuel ne m’a pas plu. »

Ennio délaisse le virtuel au profit de la matière. Contre toute attente le tatouage s’est imposé à lui. Un retour aux sources, à sa culture, comme une évidente connexion.

« C’est une part de ce vestige de notre passé encore en vie et dont il faut garder la trace »

Au début graphiquement le tatouage se limitait à des dessins de raies, requins ou dauphins pour Ennio. Le mode « tatouage de touristes sur la peau » n’était pas fait pour lui.  

« Et quand mon pote, Ariitea Noble, m’a montré les dessins avec les formes graphiques j’ai totalement adhéré. J’ai ensuite rencontré d’autres personnes comme Albert Duday, qui m’a appris à tatouer. »

MUSIQUE : HERITAGE FAMILLIAL

Au Tatouage il ajoute la Musique. Avec une bande de 5 copains, ils montent « Quinzequinze ». Un groupe de musiciens aux sonorités polynésiennes. « Quinzequinze » parce qu’:

« On était vraiment fainéants, on était toujours à reporter au lendemain ce que l’on devait fournir pour la veille. Du coup on s’est dit que tous les 15 jours on allait faire de la musique… Ça fait deux ans et demi que ça dure. »

Une discipline et une rigueur de vie qui font écho à l’éducation reçue de son père : Yannick Neagle. Une véritable figure aux yeux d’Ennio. Il ne cache pas leur relation fusionnelle.

« C’est une force tranquille, un bon guide que ce soit dans la vie ou artistiquement parlant. Il ne se prend pas la tête. »

Ennio se remémore ces longues journées à écouter son père lui raconter toutes ces histoires d’un autre temps. Une mythologie qui réveille en lui l’amour de son fenua. Il n’en fallait pas davantage pour qu’il prenne la plume et se mette à composer.  

« Nous venons de sortir un court-métrage de 15 minutes et 15 secondes et toutes nos idées de chansons sont issues de nos mythologies tahitiennes. »

Cette polyvalence artistique lui permet d’assouvir son besoin d’expression, mais Ennio n’est pas du genre à se laisser enfermer dans un cadre. Bien qu’il tienne à se spécialiser pour ne pas se disperser, il affirme que :

« Nous réfléchissons tous d’une manière différente, l’art peut tout et ne rien dire. Pour moi l’art c’est avoir une vision du monde qui n’est pas la même qu’une vision « normale »…C’est sortir des cases »

TRACE LA PAROLE

Concrètement cela se traduit par des réalisations surprenantes comme celle de sa récente exposition intitulée « tracé la parole ». Une fois par an, en général entre décembre et février pour fuir le froid et retrouver un peu de chaleur, il revient au fenua pour se ressourcer. Le mana aidant, sa créativité s’en trouve décuplée.  

« En France, c’est tatouage et musique, ici je me lâche. Et c’est une phrase de Henri Hiro qui m’a donné envie de faire cette exposition : « Pour assurer la continuité le polynésien doit s’exprimer, doit écrire, peu importe que ce soit en reo ma’ohi, en anglais ou en français, l’important c’est de s’exprimer en écrivant. »

Il y a quelques mois tandis qu’il se rendait en Normandie, il invente une écriture pour son groupe afin de lui donner une identité graphique inspiré des motifs de tatouage. Un déclic se produit, un projet est né et s’est développé. Ennio a affiné la recherche typographique et la mise en page. Pas dans le sens quête identitaire mais bien dans le partage. 

« Cette police de caractère que j’ai inventé j’ai envie de la donner. J’ai envie que les gens sachent que c’est comme un héritage, un patrimoine, que je pourrai léguer pour nous les ma’ohi. »

Sur chaque tableau se cache un texte, un discours ou bien une parole entendue quelque part.

« Pour moi il est primordial de connaître son histoire, pour pouvoir la léguer, la faire perdurer pour ne pas oublier les gestes. Nous avons tellement de personnes cachées qui mériteraient de passer de l’ombre à la lumière. »

Entre poésie, musique, tatouage ou peinture, Ennio se cherche toujours. Un véritable artiste qui en toute modestie et avec une pointe d’humour se dit ne pas l’être.

« je ne sais pas ce que j’ai envie que les gens retiennent de moi, c’est pas le but… mais pour moi, c’est un peu orgueilleux d’utiliser le terme artiste !»

Jeanne Phanariotis
Rédactrice web

© Photos : Ennio Neagle

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