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Art & Culture

Thierry, sculpteur municipal de Hiva oa : le doigté de la matière

Thierry, sculpteur municipal de Hiva oa : le doigté de la matière

Publié le 29 mai 2018

Le regard mystique et généreux, Thierry Frébault est sculpteur marquisien à la passion communicative. Que ce soit sur bois ou sur pierre, il s’aventure sur toutes les matières qu’il peut trouver afin d’ériger des témoignages de sa culture. Hommes de Polynésie a rencontré cet artiste chaleureux et engagé.

Un héritage à porter et transporter

Thierry naît en 1969 dans une fratrie composée d’un frère et d’une sœur qui reste avec ses parents alors que lui est élevé par sa grand-mère. La séparation avec sa famille devient d’autant plus difficile après le décès de son père qui survient à Mururoa en 1974. Pour l’enfant qu’il était, Thierry est marqué par cette disparition qui reste douloureuse et présente à son esprit.

« Mon père est décédé sans que notre famille puisse voir son corps… C’est ce qui se faisait à l’époque et je comprends mais pour moi, c’est comme si on nous avait enlevé une part de nous… Avec le temps, c’est ce qui m’a poussé à agir pour la mémoire de ma famille et de ma culture. »

Le père de Thierry

Cet héritage, Thierry décide de le transmettre à travers une passion qu’il découvre à l’adolescence, la sculpture.

Modeler les marques du temps

C’est à Ua Huka que Thierry apprend de nombreuses techniques sur la sculpture et l’île fait toujours office de référence pour lui. Si pour lui les « sculpteurs sont là-bas », il est fier de pratiquer son art dans son île natale de Hiva Oa qu’il estime au service de la grandeur de la culture polynésienne d’antan.

« Quand tu regardes les pétroglyphes dans nos vallées, tu trouves des ressemblances avec la culture maya. Les pirogues à deux canoës viennent des hébreux. Nous avons de nombreuses légendes dont les histoires ont des points communs avec des légendes nordiques ou grecques… »

Une sculpture ancienne proche de la culture Inca

Face à cela, Thierry est persuadé que les polynésiens ont été une grande civilisation.

Pour célébrer cette culture d’antan, Thierry s’adonne à des fouilles régulières dans les grottes de son île. Il y a retrouvé de nombreux « pehu1 » qu’il a pu reconstituer à l’ancienne. C’est aussi à travers son travail des tikis2 qu’il veille à la conservation de sa culture.

« Aujourd’hui, tu vois des tikis sans les détails comme les oreilles ou la position des mains… Avant de sculpter un tiki, il faut se poser les bonnes questions à commencer par, qu’est-ce qu’un tiki ? »

Les jumeaux

« C’est l’image d’une personne, c’est sa photo et la sculpture lui a servi d’empreinte. Le tiki est un moyen de se souvenir ce que tu as vécu et qui tu as été. »

Pour Thierry, les détails font la particularité de chaque œuvre qu’il sculpte mais surtout, ils font son histoire et ses émotions.

Au service de sa commune

Depuis plusieurs années, Thierry a le privilège et l’honneur d’être sculpteur municipal. Dès que la commune souhaite réaliser une œuvre, il est sollicité, ce qui lui permet de réaliser des pièces d’envergure qui sont ensuite exposées aux yeux de tous. Sa dernière sculpture est partie à Tahuata, elle symbolise l’amitié entre les deux îles voisines que sont Hiva oa et Tahuata. Alors qu’il termine une nouvelle sculpture destinée à la mairie de Hiva Oa, Thierry a un regard ému pensant combien chaque nouvelle commande est un défi.

Tiki

« J’aime travailler des bois différents, j’aime bien innover et changer de techniques ou d’habitudes… Par exemple, j’ai utilisé de la pierre pour réaliser un tapa et du bois pour faire un chapeau. »

Pour lui, il est important de garder les traditions mais également de bouger les lignes et les pratiques.

« C’est aussi ça qui a fait la grandeur de notre culture… En tous les cas, j’en suis persuadé, c’est en nous adaptant et en faisant évoluer notre art que nous pourrons éviter qu’il soit étouffé ou interdit à nouveau. »

Fier marquisien, Thierry aime son travail de sculpteur qui l’aide à se sentir tel à un conservateur de la culture, ce qui est essentiel à ses yeux.

« À chaque lune, nos tahu’a3 célébraient notre culture et nous avons perdu des moments collectifs où nous honorions qui nous sommes, notre savoir, notre art… »

Pehu

« Pour moi, sculpter des petites pièces qui iront dans la maison ou des pièces qui vont orner les lieux publics, c’est commérer notre histoire et s’assurer qu’elle soit transmise de génération en génération. »

1 Pehu ou « penu » en tahitien désigne un pilon en pierre qui sert à concasser des aliments ou des plantes.
2 Tiki ou ti’i sont considérés comme des représentations sculptées ou stylisées des dieux ou des hommes. (Source : Wikipédia)
3 Tahu’a signifie expert, ou encore prêtre ou guérisseurs selon l’Académie tahitienne.

Céline Hervé Bazin
Rédactrice web

© Photos : Céline Hervé Bazin et Thierry Frébault

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