Keanu Hikutini, ‘arioi des temps modernes
Keanu Hikutini est un jeune artiste et artisan, capable de créer des ornements en pierre tout autant que de réinventer les instruments de musique traditionnels. Hommes de Polynésie vous présente un créatif à la personnalité riche, qui lutte pour préserver nos océans et transmettre nos savoir-faire ancestraux à la jeunesse.
UN SCULPTEUR ANIMÉ DE SONORITÉS
Keanu Hikutini a les mains solides, à même de manipuler la pierre et le bois pour en révéler l’intensité. Son cœur, lui, est en harmonie avec un monde intérieur où les mélodies se bousculent.
« La musique fait partie de mes inspirations. J’ai toujours été sensible à ça. On n’est pas une famille riche, j’ai grandi en aillant la frustration de ne pas avoir d’instruments. Donc, quand j’ai commencé ma formation de sculpteur, je me suis dit : “pourquoi ne pas les fabriquer moi-même ?” »
Dès lors, le jeune homme transforme la matière rigide en outil musical.
« Les instruments de musique, c’était même le sujet de mon diplôme. »
Grâce à sa capacité à lier ses deux passions, il obtient le bulletin de fin d’études au Centre des Métiers d’Art. À la suite de cela, il remporte le concours du Meilleur jeune artisan créateur en présentant un intrument de luterie créé par ses soins.
« Je l’ai appelé ‘kamalele’, c’est un hybride entre un ukulele hawaiien et tahitien, tant au niveau de la forme que du son. »
Aujourd’hui, Keanu souhaite investir son savoir-faire dans le milieu de la fabrication des instruments de musique. Après s’être essayé au métier de luthier et constaté le peu de demandes au niveau local, il s’intéresse au vivo1.
L’ARTISANAT COMME MODE DE VIE
Encore étudiant, il fait la connaissance de Woïta Prokop.
« Le jour de mon examen, j’ai fait mon exposé en présentant les instruments sans en jouer. Quand j’ai eu fini, Woïta m’a demandé de revenir dans la salle et de lui faire écouter comment ils sonnaient. »
Cette rencontre scelle l’avenir proche de Keanu Hikutini. Quelques mois après sa sortie du CMA, il entre à l’atelier Prokop, pour devenir l’apprenti du maître artisan.
« À ses côtés, j’ai appris tout ce que tu n’apprends pas à l’école. Tous ces petits maillons qui font ce que c’est d’être artisan. C’est l’école de la vie, je suis au bon endroit. »
C’est là qu’il commence sérieusement à créer ses premières collections de bijoux en pierre.
UNE SENSIBILITÉ À L’OCÉAN, SA FAUNE ET SA FLORE
Keanu est originaire de Nouvelle-Calédonie. Mais son père, adopté petit par un Marquisien, lui offre ce nom de famille. Enfant des îles, c’est en Polynésie qu’il s’épanouit.
« Je suis né à Tahiti, j’ai grandi à Moorea, je me sens chez moi. »
Ses œuvres sont d’ailleurs pétries de traditions.
« Dans ce que je crée, il y a une dimension culturelle et historique. »
Des casse-têtes, des lances, mais également des harpons, des hameçons, et surtout des représentations de la faune et de la flore marines, voici ce que l’on contemple lors d’une exposition de l’artiste.
« Moorea, c’est une île qui vit sur l’eau. L’océan, c’est le premier marae de nos tupuna. Nous sommes un peuple de l’eau, pour moi, ça fait sens. »
FAIRE RECONNAÎTRE LA VALEUR DE SON MÉTIER
Si Keanu favorise un discours engagé pour nos eaux dans ses réalisations, il tient également à rappeler qu’être artiste et/ou artisan, n’est pas de tout repos.
« Je trouve que les gens banalisent beaucoup ce qu’est un artiste. On s’imagine qu’on fait des choses un peu jolies qu’on vend très cher. Je trouve ça dégradant. »
Créatif à son compte, les horaires fixes restent encore au stade du fantasme.
« C’est un métier au quotidien. Tu travailles tous les jours, tu t’instruis tous les jours. »
Parlant en connaisseur, il nous rappelle une vérité essentielle : son métier demande du temps, de l’investissement, de la passion et du courage.
« J’aimerais que les gens soient conscients du travail des artistes, des artisans et des formateurs. Tous ces travails subissent des stéréotypes. »
TRANSMETTRE POUR DÉMOCRATISER ET PERPÉTUER
Depuis peu, Keanu Hikutini se plaît à partager sa passion, non pas pour la sculpture, mais pour la musique.
« J’ai commencé à transmettre le vivo dans une école primaire à Faa’a. Il y a des jeunes, ça fait un mois qu’ils apprennent, et ils sont au moins aussi bons que moi. »
Fier de ses élèves, il s’enorgueillit de leurs capacités, mais également de ce nouveau chemin qu’il entreprend de tracer : celui de la passation du savoir.
« Ce qu’il y a d’important, c’est de rendre les choses accessibles. »
1 Flûte nasale, instrument de musique traditionnel polynésien
Rédactrice
©Photos : Cartouche Louise-Michèle pour Hommes de Polynésie et Vaimano Studio
Directeur des publications : Yvon Bardes
