Reiatua Ching, la voix du jeune agriculteur de Papetoai
Originaire de Papetoai, Reiatua Ching a repris depuis son adolescence l’exploitation agricole familiale de produits maraichers et d’arbres fruitiers. Il estime pouvoir vivre honorablement de son travail, mais dénonce quelques problèmes auxquels les agriculteurs locaux doivent faire face depuis des années. Le jeune homme se confie à Hommes de Polynésie pour retracer son parcours et nous parler des difficultés de sa profession.
L’agriculture, une tradition depuis l’arrivée de ses ancêtres chinois à Tahiti
Âgé de 24 ans, Reiatua Ching est un jeune agriculteur originaire de Papetoai. Sur son exploitation agricole de 5000 mètres carrés, il cultive divers légumes tel que le pota, les choux, les aubergines ou les carottes. Il a également planté plusieurs arbres fruitiers notamment des ramboutans, des citronniers et des papayers. Il vend ses produits à des clients fidèles et les propose également dans des supermarchés de l’île. En plus de son activité agricole, Reiatua pratique de temps en temps la pêche lagunaire et la pêche au large. Chez la famille Ching de Papetoai, l’agriculture a toujours été une affaire de famille.
« Depuis l’arrivée à Tahiti de mes ancêtres chinois qui plantaient par exemple de la canne à sucre ou des légumes, jusqu’à aujourd’hui, l’agriculture a toujours été une tradition dans la famille. Pour ma part, j’ai commencé à travailler dans nos fa’a’apu à l’âge de sept ans, effectuant des tâches telles que le débroussaillage ou le marcottage. À l’issue du collège, j’ai décidé de quitter l’école pour me consacrer entièrement à l’agriculture. Par moments, je pratique également la pêche.
Un métier pour bien vivre
Le jeune homme s’épanouit pleinement dans son métier d’agriculteur et estime pouvoir vivre honorablement de son travail.
« J’aime le fa’a’apu parce que tu es ton propre patron et tu n’as pas de contraintes d’horaires. Même si tu n’arrives pas à écouler ta production, tu réussis quand même à nourrir ta famille. Nous n’avons pas eu de problème particulier lors de la période du Covid par exemple. Mon exploitation agricole me suffit pour vivre. Cela ne m’enrichit pas, mais j’en vis bien et j’arrives à payer mes factures. »
Problème de plantation durant les périodes de pluies
Reiatua doit quand même tenter de résoudre un problème commun à tous les planteurs de légumes, celui de la surabondance de pluies chaque année entre les mois de novembre et de février.
« Quand tu as une plantation en croissance pendant cette période et qu’il y a trop d’eau, tu as les choux qui éclatent ou les pota qui pourrissent. C’est comme cela chaque année. On est obligé de pendre notre mal en patience. Du coup, je plante moins durant cette période pour réduire mes pertes. On essaie aussi de jouer avec la météo. On retarde par exemple la mise en terre des légumes en les laissant dans le garage. On attend quelque fois jusqu’à la fin de la période des pluies. »
Augmentation « abusive » des prix des produits agricoles
Autre gros souci des agriculteurs, celui du prix exorbitant des graines, des pesticides ou de tout autre produit nécessaire à l’exploitation d’une plantation agricole.
« En 2012, une boite de 500 grammes de pota nous coûtait 6000 à 8000 francs. Aujourd’hui, on paye quasiment 36 000 francs pour acheter une boite identique. A un moment donné, le ministère de l’Agriculture importait des graines agricoles. Un des agents m’avait dit que le sachet de 10 grammes de graines de pota coûtait 15 francs à Taiwan. Ce même paquet nous a coûté 300 francs en Polynésie. Je pense que les prix fixés par les fournisseurs locaux sont abusifs. Si on ne peut pas acheter nos graines, on ne va plus pouvoir travailler. On m’a dit que la carte d’agriculteur nous permet d’avoir une remise de 15 % sur certains produits. Je pense que cette réduction est dérisoire compte tenu de l’inflation que nous subissons. »
Les agriculteurs « délaissés » par les gouvernements
Selon Reiatua, les problèmes des agriculteurs locaux subsistent depuis plusieurs décennies sans que les autorités politiques trouvent de solutions. Ils estiment qu’ils ont été oubliés.
« Honnêtement, je dirais que les agriculteurs ont été délaissés depuis longtemps. Les gouvernements qui se sont succédés nous ont rabâché la même chanson depuis l’époque de mes grands et arrière-grands-parents. Tout ce qui a changé, c’est cette augmentation de prix. Cela porte à croire qu’on a voulu faire mourir la production agricole locale. Je pense que si peu de jeunes se lancent dans l’agriculture, c’est aussi à cause de ces prix exorbitants. »
Des attentes vis-à-vis du nouveau gouvernement
De ce fait, Reiatua dévoile ses attentes vis-à-vis du nouveau gouvernement en place.
« Grâce aux anciens gouvernements, les pêcheurs ont bénéficié de certains privilèges, comme une réduction des prix sur le carburant. Etant donné que les agriculteurs travaillent également dans le secteur primaire, j’aimerai que nous ayons des avantages tels qu’une exonération de taxe sur les graines agricoles. Il faudrait également qu’il y ait un contrôle sur les marges des prix fixés par les magasins locaux sur les produits de l’agriculture. Quand on entre dans ces magasins, on est considéré comme des particuliers et non comme des professionnels de l’agriculture. Je pense aussi que le gouvernement devrait revoir certaine taxe à l’importation des produits agricoles. On espère vraiment que les choses vont bouger. »
Des jeunes polynésiens qui ne tiennent pas le coup dans les fa’a’apu
Dans sa jeune carrière, Reiatua a été préoccupé par la difficulté des jeunes polynésiens à travailler dans les plantations agricoles. Il cite l’exemple des ses anciennes recrues.
« J’ai eu plus d’une dizaine d’employés jusqu’à aujourd’hui, mais ils n’ont jamais tenu plus d’un mois dans mon exploitation. Travailler 7 jours sur 7, sur le sol et sous la pluie est trop dur pour eux. Je pense qu’ils n’ont pas reçu l’éducation et la force de caractère nécessaires pour faire ce métier. Ils n’ont jamais connu le soleil. Je suis issu d’une famille d’agriculteur et j’ai connu tout cela depuis mon tout jeune âge. »
Être entreprenant et se lancer dans un projet
Pour conclure, Reiatua lance un appel à tous les jeunes du fenua qui n’ont pas d’emploi.
« Même sans diplôme, il faut que vous soyez entreprenants et que vous vous lanciez dans un projet, que ça soit dans l’agriculture, la pêche ou un autre secteur. Je n’ai pas de diplôme, mais j’arrive quand même à voyager aujourd’hui hors de la Polynésie grâce à la pêche et au fa’a’apu. J’ai voyagé par exemple en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis. Si tu n’as pas de travail, il ne faut pas se décourager. Il faut trouver un moyen de s’en sortir et ne pas se laisser aller dans la drogue. Si vous pouvez vous acheter de la drogue, vous pouvez vous acheter des graines de légumes aussi. »
Rédacteur
©Photos : Toatane RURUA et Reiatua Ching pour Hommes de Polynésie
Yvon Bardes, directeur de publication