
Naïki Guilloux-Chevalier, de l’énergie à revendre
Bientôt âgé de 30 ans, Naïki Guilloux-Chevalier est une sorte de vedette à Uturoa. Casquette à l’envers, casque audio par-dessus, le jeune homme à la démarche cool, genre rappeur en dédicace, distribue des « checks » à tu et à toi. Affecté d’une trisomie 21, Naïki tire son épingle de ce chromosome en plus grâce au soutien inébranlable de ses grands-parents. Hommes de Polynésie est allé à sa rencontre parmi ses proches.
Une annonce qui change tout
« Je m’appelle Naïki, j’habite à Tevaitoa. Ma grand-mère s’appelle Joëlle Frébault et mon grand-père Albert Guilloux-Chevalier. Je vis avec eux depuis ma naissance. »

À l’annonce de la trisomie 21 de son petit-fils, le grand-père Albert a pris les devants, conscient des difficultés à venir. Le travailleur social, qui avait effectué un stage auprès de personnes handicapées, propose alors à son fils et à sa belle-fille de prendre le petit Naïki sous son aile. Pour autant, le petit garçon grandit tout en entretenant des liens étroits avec ses parents biologiques et son petit frère Mataihau.

Le droit à l’instruction
Souhaitant maximiser les chances d’intégration, les grands-parents de Naïki se démènent pour qu’il fréquente l’école dans des conditions adaptées. De l’aveu de son grand-père, la première demande fut très compliquée, aboutissant au refus net du directeur de l’école maternelle de l’époque. Mais, à force d’insister, de multiplier les rendez-vous sur Tahiti, de rappeler le caractère obligatoire de l’instruction, les tuteurs obtiennent, autour de l’an 2000, le droit et les moyens de scolariser leur petit-fils.
Naïki est donc accepté à l’école maternelle de Apooiti, l’école primaire de Vaitahe, à Uturoa, puis le collège de Faaroa, à Taputapuatea, enfin le lycée professionnel protestant de Uturoa. Toutefois, chaque changement d’établissement déclenche une nouvelle bataille afin d’obtenir une place.

Au secondaire, Albert Guilloux-Chevalier sollicite directement le ministre de l’Éducation, Jean-Marius Raapoto, afin d’ouvrir une classe spécialisée. L’UPI (unité pédagogique d’intégration) accueille, en effet, des adolescents affectés d’un handicap mental qui rend difficile leur intégration au sein d’une classe ordinaire, sans pour autant nécessiter leur admission dans un institut médico-éducatif (IME).
« À l’école primaire, j’aimais beaucoup le fa’a’apu, cultiver les tomates, les concombres… Au collège, j’avais plein de copains, de copines. Et tous les midis, je mangeais des lentilles parce que le cuisinier me préparait ce que j’aimais bien manger. Après, au lycée, j’ai appris la cuisine, je faisais des gâteaux, des cookies… Et puis, j’ai travaillé comme serveur dans leur restaurant. »
Le goût du contact humain
Souriant, gai, Naïki a le contact facile. Dans les rues de Uturoa, le jeune homme aime beaucoup se balader, saluant les uns et les autres. À l’aise comme un poisson dans l’eau, il s’invite même chez les chauffeurs de taxi, profitant d’une course en direction de l’aéroport par exemple, pour bavarder avec eux. À d’autres moments, il apparaît calme, voire posé. Imprégné par l’histoire de sa famille, Naïki n’a aucun mal à relater des souvenirs anciens, citant les dates exactes d’un mariage, d’un voyage scolaire ou d’un anniversaire. Lui qui se targue de parler tahitien et anglais, « les petits mots, pas les mots trop longs », est ouvert au monde qui l’entoure : l’animation du centre-ville de Uturoa, le grand et beau jardin qui agrémente sa maison, les bains à la mer, les sorties en kayak, les balades en montagne, les voyages par-delà les frontières polynésiennes…
Mais, par-dessus-tout, c’est la musique qui l’anime, tout son être soudain électrisé par les rythmes et les basses du shipa.
« C’est une musique de jeunes que j’aime bien. J’adore l’écouter à fond ! Avant, j’aimais beaucoup le reggae, Bob Marley, c’était mon chanteur préféré. »
Nul doute que, le 29 mai prochain, jour de ses 30 ans, cette musique fera vibrer les haut-parleurs ! Naïki se réjouit d’avance de la fête organisée par ses parents, grands-parents et autres fēti’i, soucieux d’assurer son avenir, lui qui n’a jamais connu l’existence en institut spécialisé. Une nouvelle bataille commence, la recherche d’un emploi qui lui permettra, comme tout un chacun, d’avoir sa place au sein de notre société.
« J’aimerais travailler, j’ai déjà fait beaucoup de stages, comme serveur, comme maître d’hôtel au restaurant. Et aussi, j’aime beaucoup mettre l’ambiance comme DJ lors de soirées. »

Rédactrice
©Photos : Gaëlle Poyade et Albert Guilloux-Chevalier pour Hommes de Polynésie
Directeur des publications : Yvon Bardes