Avec Kevin, créateur de LEADBEES : comment gérer ses ruches à distance ?
Le secteur apicole est victime du syndrome d’effondrement des colonies (en anglais Colony Collapse Disorder, ou CDD) depuis les années 90 : les populations d’abeilles souffrent. Les responsables ? La loque américaine et la loque européenne, le varroa destructor et le frelon asiatique. La Polynésie française est relativement épargnée puisque seules les loques américaines et européennes sévissent aujourd’hui au Fenua1. Hommes de Polynésie a rencontré Kevin Heremoana BESSON, amoureux de la nature, de son Pays et passionné d’informatique, qui œuvre pour protéger les populations d’abeilles locales à l’aide d’une innovation technologique : LEADBEES.
« Mon grand-père m’a inculqué les valeurs de l’agriculture. »
Kevin, me dit qu’il vient d’une petite famille d’agriculteurs, et que c’est à son grand-père maternel, tahitien, et à sa maman qu’il doit son attrait pour tout ce qui est relatif à la nature. C’est dans leur exploitation agricole sur Faa’a, où poussaient des salades ou du manioc qu’il a beaucoup appris. Aujourd’hui, Kevin a un potager et un verger chez lui : « j’ai conçu ma maison en container autour de mon jardin », il pratique l’apiculture et se lance dans l’aquaponie2.
« J’ai dû payer mes études à partir du Lycée. »
Aîné de trois petites sœurs et six petits frères, de parents séparés, Kevin, âgé de 30 ans aujourd’hui, sait ce que le mot travail veut dire : « je ne tiens pas en place, c’est mon éducation ». S’il veut faire des études, il n’a d’autre choix que de les payer lui-même. Il obtient son bac commercial au Lycée Paul Gauguin, continue par un BTS informatique, la première année à Taaone, puis l’année suivante à La Mennais, et termine par une licence à L’Université de Polynésie Française. Dans ce qu’il fait aujourd’hui, Kevin se définit comme autodidacte.
« On n’avait pas la possibilité de faire de grandes études, à l’époque on n’avait pas internet comme aujourd’hui. C’était beaucoup de bouquins, de revues spécialisées. En électronique, je récupérai les jouets cassés, j’essayai de les réparer pour monter en compétence… »
« En 2014, j’ai eu l’occasion de monter mon entreprise, AWARE SYSTEMS. »
Kevin s’est lancé dans le secteur de la domotique, des « maisons intelligentes ». Puis dans celui du bâtiment, des « villes intelligentes ». Son but, prendre des données pour comprendre l’environnement. Sa réflexion porte sur :
« que créer qui ait une utilité, qui puisse aider à avoir un impact bénéfique sur les Hommes ? Comment concilier la préservation de la nature, la biodiversité du Fenua et l’informatique pour contribuer à faire quelque chose de bien ? De là est né le projet LEADBEES… ».
« LEADBEES est la solution de gestion de ruche connectée. »
La Polynésie Française, c’est 118 îles réparties sur une aire maritime de 5,5 millions de km2. Cette vaste étendue possède des avantages, mais aussi des inconvénients au sein de la filière apicole polynésienne. Avantages, car aujourd’hui les abeilles sont encore relativement saines, isolées de nombreux parasites et évoluent dans un environnement ne connaissant que très peu de pesticides, mais inconvénients car il est difficile de pouvoir suivre leur état de santé facilement. Kevin a donc conçu et imaginé un capteur à placer dans la ruche, qui va mesurer des données telles que :
- La température
- L’humidité
- La pression atmosphérique
- L’activité sonore
- Les mouvements et inclinaisons
- Le poids…
« Ces précieuses informations qui permettent d’évaluer l’état de santé des abeilles, seront envoyées via Internet sur une plateforme en ligne. Cette plateforme est accessible par smartphone, tablette et ordinateur et permet à l’apiculteur d’avoir une visibilité sur son rucher, sans se déplacer. »
« Le machine learning : on va apprendre à un ordinateur à détecter une maladie dans la ruche. »
Le « machine learning »3 est un domaine de l’intelligence artificielle, secteur en plein développement actuellement. L’intelligence artificielle, certains voient en elle une opportunité, d’autres une menace. Force est de constater qu’aujourd’hui, c’est un énorme chantier expérimental et les investissements qui vont dans son sens ne font qu’augmenter. Kevin a obtenu le deuxième prix du concours pour l’innovation numérique pour ce projet en 2016 et obtenu 4 millions de francs qu’il investit dans LEADBEES.
« Mon projet a reçu un superbe accueil du public, ça rassure sur l’orientation des choix, est-ce que l’on est sur la bonne voie. Le SDR est très réceptif et intéressé par le projet. »
Pour Kevin, son système permet « d’être en mesure de voir ce qui se passe dans la ruche sans la déranger, d’optimiser son exploitation apicole et de définir un plan d’action en cas de maladie par exemple. »
Le premier prototype est sorti en août 2016. Pour Kevin, cette aventure est un défi personnel. Des moments de doute, il en traverse, mais ajoute : « il faut s’accrocher. En Polynésie, on a les capacités qu’il faut pour réussir dans tous les domaines, on a la possibilité de rayonner à l’international autrement que par le tourisme ».
Même si la prudence est de mise dans le domaine de l’intelligence artificielle, domaine que nous ne maîtrisons pas vraiment, et qu’aujourd’hui nous n’avons pas assez de recul pour évaluer les bénéfices d’un tel projet, l’idée de sauvegarder nos ressources naturelles est belle. Les merveilles que nous prodigue la nature sont des trésors inestimables, et nous sommes particulièrement gâtés en Polynésie. À l’instar de Kevin, prenons-en conscience et essayons, comme l’a si joliment dit Alain Crehange, d’être « Happyculteur : personne qui fait de son miel des petits bonheurs de l’existence. »
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Sur la page Facebook LeadBees.
1 Pays, ici, Polynésie Française.
2 L’aquaponie est une forme d’aquaculture intégrée qui associe une culture de végétaux en « symbiose » avec l’élevage de poissons. (Source : Wikipedia)
3 L’apprentissage automatique (…) ou apprentissage statistique, champ d’étude de l’intelligence artificielle, concerne la conception, l’analyse, le développement et l’implémentation de méthodes permettant à une machine (au sens large) d’évoluer par un processus systématique, et ainsi de remplir des tâches difficiles ou problématiques par des moyens algorithmiques plus classiques. (Source : Wikipedia)
Tehina de la Motte
Rédactrice web
© Photos : Hommes de Polynésie et LeadBees