René Heiata : la musique, son ticket jeunesse
Au Mara’amu, la brasserie populaire de Uturoa, Hommes de Polynésie a rendez-vous avec René, l’un des musiciens bien connus du marché. Parmi les bruits de cantine et les conversations animées, le septuagénaire témoigne de la place de la musique dans sa vie. L’entretien est également une opportunité pour ce policier à la retraite de s’exprimer sur l’importance de perpétuer à l’identique les danses, chants et traditions des archipels polynésiens.
« Je suis né à Raiatea en 1953. J’y ai grandi entouré de mes 3 frères et 7 sœurs. À 13 ans, j’ai quitté l’école après avoir raté deux fois le certificat d’études ; je préférais ramasser les coquillages. À 18 ans, j’ai rencontré ma petite vahine, Lyli Punaa, elle avait 16 ans. On s’est marié en 1977, on a eu sept enfants et on ne s’est plus jamais quitté sauf quand Lyli est allée compter les étoiles. »
« La tradition, ça ne s’invente pas ! »
René est attaché au Raiatea de sa jeunesse et se réclame plus volontiers mā’ohi que tahitien car, aux Raromata’i, les coutumes sont différentes.
« Les Tahitiens aiment le changement, eux, ils réinventent la culture. Avant, sur les photos anciennes, les jupes en more des femmes descendaient jusqu’aux genoux. De nos jours, sur Tahiti, le costume arrive sous les fesses. Presque à voir la petite culotte ! Les danses ressemblent à un show ! Je me souviens d’une compétition de hula vahine qui récompensait la meilleure danseuse de ori tahiti. C’est une étrangère, une Mexicaine ou Chinoise, je ne sais plus trop, qui a gagné la première place ! Nous, les Polynésiens, nous sommes échoués, enfin je veux dire, nous avons échoué… »
Qu’est-ce que René nous confie là ? Qu’à vouloir moderniser les chorégraphies, on se retrouve coiffé au poteau par des étrangers qui se débrouillent très bien en associant des éléments contemporains et d’autres historiques ? Remuant sa petite cuillère dans son café, notre homme semble réfléchir au sens de cet évènement. Ses yeux se plissent comme pour voir au-delà de la barrière de corail. Il poursuit.
« Aux Marquises, Hawaï ou encore Rapa Nui, la tradition perdure sans changement. Ils dansent les mêmes danses depuis toujours. Tu vois le haka ? C’est typique des Maoris de Nouvelle-Zélande et aussi des Marquisiens. Chez nous, on danse le ’ōte’a. Maintenant, quand on envoie des délégations tahitiennes chez nos compatriotes, comme aux Salomon pour les Jeux du Pacifique, on voit des Tahitiens danser le haka ! C’est absurde ! »
René n’est pas contre la création quand il s’agit de composer « une petite chanson pour soi ». Mais dans le cadre de la célébration de la culture polynésienne, lors de grands rassemblements à l’instar du Heiva, il est pour la réplique des gestes d’antan et la pratique à l’authentique.
Son implication dans la musique locale
Sans doute cette analyse lui est-elle venue à l’âge de la maturité. De 1995 à 2005, après avoir donné le tempo en tant que batteur à un groupe de musique électrique, René passe à la musique locale. De nos jours, il est l’une des figures emblématiques des Tamari’i Te Reo Taurea Île Sacrée, un groupe fondé il y a un peu plus de 10 ans. Composée notamment de ukulele et kamaka, la formation est dirigée par Amo, chef d’orchestre et grand copain de René. On peut les entendre place Toa Huri Nihi où ils jouent plus spécialement pour les matahiapo ou bien devant l’enseigne de certains magasins.
Si vous voulez les écouter sans consulter d’agenda, rendez-vous le vendredi matin au marché de Uturoa qu’ils animent gratuitement. Dès 7h30, les cinq musiciens permanents s’installent à l’entrée, s’asseyant à même le rebord carrelé, un caddy de supermarché en guise de vestiaire improvisé. Dans cette alcôve amicale, ils enchaînent les titres populaires, les incontournables des bringues, les chanson romantiques, majoritairement en reo tahiti.
René, le maestro de la basse-poubelle
Bien qu’il manie le ukulele, la guitare-basse et même le banjo, c’est derrière sa basse-poubelle qu’on retrouve le plus souvent René.
« Je joue d’une façon bien spéciale, ma basse-poubelle sonne comme une guitare électrique ! Je suis allé à Tahiti et j’ai vu que j’étais le seul à jouer de cette façon-là. C’est mon style très personnel. Venez écouter mon son et vous allez rigoler ! »
L’instrument, fabriqué-maison, est constitué d’une poubelle retournée sur laquelle est fixée une seule corde en nylon tendue par un bâton en bois. Un instrument des plus rudimentaires mais qui met une belle ambiance.
Chanter, jouer : une cure de Jouvence
Les Tamari’i Te Reo Taurea Île Sacrée ne sont composés que de retraités, à l’exception d’un jeunot de 48 ans. Le nom du groupe, qui fait référence aux enfants et aux adolescents, est un pied-de-nez aux apparences.
« Quand tu nous regardes, c’est vieux, mais quand tu nous écoutes, c’est jeune ! Je reste en bonne forme grâce à la musique. On croit que j’ai 10 ans de moins quand je frappe ma poubelle. Sans la musique, je vivrais comme un vieux. »
L’accordéoniste chenu de 83 ans donne raison à René, ses doigts virevoltent sur les touches 4 heures durant sans une fausse note. Quelle endurance ! Comme ses comparses, René prête sa voix afin de faire résonner sa langue de cœur. Chanter en tahitien, c’est une évidence pour lui qui défend sa langue maternelle de plusieurs manières. De confession mormone, il converse naturellement en tahitien avec les sœurs missionnaires américaines qui sont régulièrement accueillies sur l’île.
« C’est, pour elles, la preuve qu’elles ont vécu en Polynésie, et pas ailleurs. Si elles retournaient en Amérique en disant qu’elles ont appris le français, c’est comme si elles n’étaient jamais venues chez nous à Raiatea. J’ai toujours parlé tahitien à mes enfants ; avec la génération de mes petits-enfants, c’est plus difficile. Mais si tu laisses ta langue de côté, tu es quelqu’un de mort. »
Rédactrice
©Photos : Gaëlle Poyade pour Hommes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES