Gabilou, voix de Polynésie !
Si la chanson polynésienne compte quelques légendes locales, il n’y en a qu’une seule qui a su rayonner à l’international : Gabilou, de son vrai nom Gabriel Lewis Laughlin. Tout a été dit sur notre star locale, pourtant il nous a reçu et s’est confié à Hommes de Polynésie
Il était impensable pour notre site de ne pas consacrer un article à Gabilou, un homme de Polynésie par excellence, ambassadeur du fenua depuis des décennies. Tout a été dit sur John Gabilou. Un livre formidable et très complet lui a été consacré : « Gabilou, la voix du Pacifique » de Anne Pitoiset et Claudine Wery, aux éditions « le rayon vert », bouquin abondamment illustré.
Il est donc difficile de ne pas faire de doublon, mais Gabilou est un extraordinaire conteur, extrêmement généreux en anecdotes les plus folles les unes que les autres. Il nous reçoit dans sa maison de Faa’a. Si vous êtes perdu dans une mauvaise servitude, pas de difficulté pour être guidé, tout le monde connait la maison de Gabilou.
Une grande maison sur un terrain familial où chaque enfant a son petit nid au milieu de nombreux arbres fruitiers. Gabilou est intarissable sur ses souvenirs. Le récit qui suit ne suit pas une chronologie précise parce qu’avec Gabilou, un souvenir en appelle un autre et on se met juste à savourer ses anecdotes même s’il les livre dans le désordre.
UNE ÉDUCATION À LA DURE
À peine attablé à ses côtés, il ne faut pas longtemps pour brancher Gabilou sur sa carrière et ses souvenirs. Il a tellement à raconter qu’il pourrait multiplier les confidences sans jamais se répéter. On essaye de le canaliser dans le kaléidoscope de ses souvenirs en le ramenant à son enfance alors qu’il nous parlait déjà de Charles Aznavour et Claude François…
« j’étais un gamin terrible »
Un gamin terrible, c’est ainsi qu’il se qualifie lui-même. Né à Papeete dans une fratrie de dix enfants, Gabilou avait un papa originaire de Tubuai, agriculteur puis agent de police, et une maman originaire de Makatea où la famille possédait 200 hectares qui ont été exploités pour le phosphate, dont l’exploitation a permis à la famille d’acheter des terres à Tahiti, dans le quartier de Heiri à Faa’a.
Le petit Gabriel était élevé à l’ancienne, avec la ceinture et le balai niau quand il ne filait pas droit. Mais il y avait un principe dans la famille : on ne tape pas les enfants avant 12 ans.
« Adolescent, je me mets à la boxe »
Gabilou raconte qu’il était le meneur de ses frangins et qu’il vivait dans la crainte « du vieux », de son papa sévère. Très vite, il a été attiré par la boxe. Ce sport lui permettait d’apprendre à se défendre quand on l’embêtait. Sauf qu’il est devenu totalement accro à ce sport au point de devenir champion à 18 ans.
La majorité étant alors à 21 ans, il avait besoin de l’autorisation paternelle pour obtenir la signature sur sa licence… Il prend son courage à deux mains pour cette demande à son papa… Celui-ci sera catégorique et la réponse immédiate : ce sera NON, et il déchire même la licence sous ses yeux…
On imagine le jeune Gabriel qui aimait en découdre surtout à une époque, où, adolescent, des inconscients osaient se moquer de son look aux cheveux longs, avec des allusions qu’ils regrettaient vite après avoir été mis K.O. par le jeune boxeur amateur.
LA MUSIQUE OMNIPRÉSENTE
Quand on demande à Gabilou les origines de son amour pour la musique, là aussi les souvenirs affluent… il se remémore sa maman qui chantait le soir, et, lorsque la journée était finie et que les enfants avaient accompli leurs tâches et balayé la cour, on se réunissait autour de la platine qui diffusait des 78 tours, dont Tino Rossi, idole de sa maman.
Le petit garnement qu’était Gabilou à l’adolescence « chapait » la maison pour aller espionner les musiciens au Quinn’s, le cabaret vedette de l’époque où l’on jouait des morceaux comme « only you » des Platters, et de la musique locale. En cachette de son papa bien sûr… son père qui a toujours été son guide. A 16 ans il se met à chanter et jouer de la guitare en s’enregistrant sur des bandes magnétiques introuvables aujourd’hui.
Introuvables comme la collection de disques dont son père s’était débarrassé pour faire de la place dans la maison. Un trésor perdu…
« me voilà auprès de la star de l’époque : Petiot… »
À force de fréquenter le monde de la musique, Gabilou rencontre Petiot et le voilà enrôlé dans les légendaires Barefoot Boys avec lesquels il connaitra ses premiers tubes : Vaihiria, Petite île sacrée et Bain de soleil…
« je balançais le contre-ut facile ! »
Gabilou se met à avoir des contrats avec l’hôtel Matavai et devient un chanteur très populaire, dont on apprécie la voix puissante. Lui-même se souvient qu’il poussait sa voix avec facilité, précisant « qu’il avait le contre-ut facile »…
LA RENCONTRE AVEC MOEATA
Gabilou parle avec amour et tendresse de sa deuxième épouse, la célèbre Moeata. Il raconte avec des étincelles dans les yeux, sa rencontre avec cette jeune fille qui dansait dans la troupe des Tamarii Fataua et qu’il avait repéré pour sa grâce et sa beauté.
Moeata qui a été meilleure danseuse du Heiva et qui dirige sur Faa’a une école de ori tahiti réputée. Gabilou et Moeata, un couple légendaire, uni, fusionnel, comme un modèle d’amour et de longévité.
LES LAUGHLIN, FAMILLE DE CHAMPIONS DE VA’A
Dans le kaléidoscope de ses souvenirs, Gabilou évoque aussi ses années va’a, avec son frère, et leurs exploits dans la mythique course de Molokai à Hawaii, qu’il gagne en 1976 avec une demi-heure d’avance sur la pirogue suivante, qui arrive alors que les vainqueurs tahitiens sont déjà en train de faire la bringue.
Une épopée qui durera jusqu’en 1993 avec la symbolique du nombre 17 : nouvelle victoire 17 ans après 1976, pirogue n° 17, 17 personnes dans le staff, et la course se déroule un 17 du mois…
« mon idole de toujours : Elvis ! »
Puis il y a les années américaines où la vedette polynésienne se produit en Californie et à Vegas. Las Vegas… un rêve devenu réalité, où le chanteur tahitien écume les soirées extravagantes comme celle où il se retrouve aux côtés de Frank Sinatra, Dean Martin et Sammy Davis jr.
Mais le rêve de Gabilou c’est de voir Elvis, dont les concerts sont complets. Et le destin s’en mêle puisque, alors qu’il mimait un tamure au bord d’une piscine de palace, il est abordé par trois jeunes filles noires intriguées par cette chorégraphie. De fil en aiguille il leur montre la technique et cherche à savoir qui sont ces jolies demoiselles, en bon séducteur célibataire qu’il était à l’époque…
Et le destin fait bien les choses puisque les girls sont les choristes d’Elvis !!! incroyable ! il les supplie de le faire entrer au concert, et grâce à elles, il a une entrée avec coupe-file pour être aux premières loges et voir son idole en chair et en os. Il se souvient avoir mémorisé les moindres détails de la prestation d’Elvis, de sa gestuelle, de son attitude, mais aussi la manière dont il était éclairé…
« une occasion de rêve à Hawaii… rencontrer « le king »
Alors qu’il était à Hawaii pour une course de Molokai, Gabilou rencontre la super vedette du show biz local : Don Ho. Dans son bureau, il voit une photo de Don Ho avec Elvis Presley, un peu comme on fait un selfie aujourd’hui. Et Gabilou lui dit que c’est son rêve d’avoir la même photo à côté du King.
Don Ho ne fait ni une ni deux et lui propose de faire un saut à Vegas en avion, un aller/retour pour lui faire rencontrer son idole qu’il connait personnellement. On imagine notre Gabilou excité comme une puce à cette idée aussi folle qu’inattendue.
Hélas, ça ne se fera pas puisque la raison a été la plus forte et c’est le frangin de Gabilou qui le convainc de ne pas laisser tomber le staff des piroguiers…
GABILOU, L’AMI DES STARS
Puis c’est le tour des souvenirs de métropole. Gabilou est un chanteur polynésien confirmé, contacté par Jean-Paul Cara, un compositeur de tubes, qui lui propose une chanson pour l’Eurovision. À ce moment-là, il est à Los Angeles et c’est le début de l’aventure « humanahum » dont on connait le succès.
Après avoir été au top de la sélection des chansons susceptibles de représenter la France, la chanson finira en 3ème position. Gabilou écume le monde du showbiz français et on essaye d’en faire une vedette, en concurrence avec David Alexandre Winter (connu pour son tube « oh Lady Mary ») et un certain Mike Brant…
C’est ce dernier qui fera la carrière que l’on sait. Car Gabilou n’a pas voulu céder à certains impératifs du marketing du showbiz comme Léo Missir de chez Barclay (le père du bijoutier Frédéric Missir) qui voulait qu’il gomme son accent tahitien, et qu’il arrête de rouler les R…
C’est mal connaître Gabilou qui n’a jamais voulu vendre son âme au Diable, et qui voulait impérativement rester lui-même, sans tomber dans un moule préformaté.
« je ne suis pas malheureux de ne pas avoir fait la carrière internationale que l’on avait préparé pour moi »
Il se souvient d’avoir chauffé les publics de Charles Aznavour ou Claude François, dont il chantait « my way », la version anglaise de « comme d’habitude », de son passage à la télé avec Michel Drucker, de son amitié avec Julio Iglesias le tombeur séducteur qui venait le voir entouré d’une horde de jolies filles… Mais Gabilou n’a aucun regret et il continue de faire des projets…
« je me maintiens en forme grâce à beaucoup d’exercices »
Aujourd’hui Gabilou a toujours des rêves dans la tête. Il prend soin de sa forme en commençant ses journées en faisant du vélo et des abdos avant de filer « à la salle » chez Roberto Gym.
Et c’est vrai qu’il a la pêche notre Gabilou, en pleine préparation de son Olympia entouré d’invités prestigieux parmi les artistes de sa famille et ses amis, ce sera « Gabilou and friends » le 19 janvier 2019 à l’Olympia.
On ne voit pas le temps passer quand on passe un moment avec Gabilou. Nous n’avons eu qu’un aperçu pêle mêle de ses milliers de souvenirs. La nuit est tombée quand nous le quittons, il nous salue avec la gentillesse qui est sa signature, aussi immense que son talent, devant un panneau « Elvis Presley blvd. » à l’entrée de son garage.
Laurent Lachiver
Rédacteur web
© Photos : Laurent Lachiver et John Gabilou