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Emile Bonnefin n’a pas la langue dans sa poche!

Publié le 27 juin 2020

Emile Bonnefin est professeur de langue tahitienne. Ce qui était une normalité dans sa famille deviendra au fil du temps une richesse précieuse, dont la transmission sera son credo. Hommes de Polynésie vous présente un des passionnés de reo tahiti qui se cache derrière Traduction Tahitien.

Les études : de l’amour au décrochage

Emile  est originaire de Papeari, où il grandit dans l’amour, le partage, l’entraide… avec ses parents adoptifs et leurs 6 autres enfants.

“ Le tahitien, c’était la langue de la maison. Je remercie mes parents et grands-parents de m’avoir laissé cet héritage culturel.”

Son cursus scolaire est assez atypique. Excellent élève au primaire, tout bascule à son entrée au collège. Les expériences avec les copains ont eu raison de son amour pour les études.

“ J’étais l’aîné de mes frères et sœurs, et le seul à avoir été adopté. Ça coûte de l’argent, les études, et il n’y avait que mon père qui travaillait. J’estimais que je devais laisser ma place à mes frères et sœurs.”

À 15 ans, Emile quitte l’école et veut travailler, mais il ne le peut pas, ne disposant ni de l’âge légal, ni du bagage scolaire.

“Il y avait les cours Bufflier, dont les cours professionnels (comptabilité, secrétariat, commerce) m’intéressaient. Alors je suis allé voir mes géniteurs et leur ai demandé s’ils pouvaient me les payer. Ils ont refusé. Depuis je ne leur ai plus jamais rien demandé.”

Une seconde chance 20 ans plus tard

Suivent alors de longues années difficiles, où les petits boulots s’enchaînent.

“ Je faisais le jardin chez les gens, j’ai été éboueur… 20 ans après, j’en ai eu marre.”

Puis un jour, il apprend un peu par hasard que reprendre ses études n’est pas une utopie.

“ J’ai une cousine qui avait fait un DAEU2. Donc j’ai appris qu’il y avait cette opportunité de reprendre les études, et l’année d’après, en 2009, je l’ai fait. ”

Il retourne ainsi à l’école et poursuit jusqu’au master. À force de persévérance, il saisit cette seconde chance que la vie lui offre, pour exercer un métier qu’il aime : professeur de reo tahiti.

“ Ça fait 5 ans que j’enseigne. J’interviens à l’ISEPP, à l’université, à l’école des Sages-femmes, avec Traduction Tahitien, ainsi que d’autres entreprises.”

Une langue à faire revivre

Aujourd’hui, Emile a 2 enfants : un garçon de 3 ans et une fille de 7 ans. Il lui est inconcevable de ne pas leur transmettre ce qui est à ses yeux un des plus précieux héritages : le reo tahiti.

“Il y a eu une époque, où parler le tahitien était interdit à l’école, ce qui a causé un traumatisme chez certaines personnes. Du coup, elles n’ont plus voulu transmettre cette langue à leurs enfants, qui, ne la maîtrisant pas, ne la transmettront pas à leurs enfants plus tard.”

C’est non sans un pincement au cœur qu’il constate la déperdition de la langue tahitienne. Bien qu’il regrette de ne pas voir plus d’émissions télévisées ou d’articles dans la presse en reo, il se rend à l’évidence :

“À l’école, les 2 heures de reo tahiti ne sont pas une matière valorisée comme le français et les maths. Certes, l’école à sa part dans l’apprentissage du reo.  Cependant, j’estime que cet apprentissage doit commencer à la maison  avec comme enseignants les parents eux-mêmes.  Aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer des Tahitiens qui payent pour apprendre leur langue… il y a quelque chose qui ne va pas. ”

Alors quand Emile voit ses élèves progresser, en partant de zéro à la rentrée et capables de converser en fin d’année, il a de quoi en tirer une certaine satisfaction.

“Ce qui est valorisant c’est le fait de voir l’autre grandir dans cette langue.”

Avec Yesta et Vaitemanu, de l’équipe Traduction Tahitien

Avec l’ère du numérique, cet apprentissage est devenu plus accessible. Avec l’équipe de  Traduction Tahitien, ils préparent actuellement des cours en visioconférence.

“Il faut déjà en avoir l’envie. Et puis comme dans toute langue étrangère, il faut pratiquer.”

Également ancien danseur de ori tahiti, Emile est un amoureux de sa culture, et transmet son savoir avec générosité et passion.

“L’homme de Polynésie d’aujourd’hui est quelqu’un qui a évolué par rapport à celui d’avant. Il connaît plus de choses, mais à côté de ça, son identité est freinée. Être Polynésien, c’est un tout : ça ne se résume pas à la langue ou à la danse, c’est aussi être accueillant, avec le sourire aux lèvres, être chaleureux… c’est ça un Polynésien.

 

1 Découvrir le portait d’Aurélie, étudiante au Cours  BUFFLIER

2 Diplôme d’accès aux études universitaires

SPONSORISÉ PAR TRADUCTION TAHITIEN

Propos recueillis par Vainui Moreno

Article rédigé par Lubomira Ratzova

©Photos : Emile Bonnefin, Vainui Moreno

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