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Société

Tony Tekuataoa : un médecin demi-marquisien aux urgences de Taaone

Publié le 24 mars 2020

« Eh taote, si toi tu l’as fait, ça veut dire que nous aussi on peut le faire ! »

Cette parole, prononcée par des adolescents polynésiens qui s’identifient à lui, fait plaisir à Tony Tekuataoa. Marquisien par son papa, gersois par sa maman, il est médecin urgentiste au CHT de Taaone. Des « taote made in Fenua », il n’y en a pas tant que ça. D’autant qu’en cette période de profonds bouleversements liés au coronavirus, la tendance pencherait plutôt vers « Courage, fuyons ! » tant nombreux sont ceux qui ne souhaiteraient pas être à leur place. Hommes de Polynésie met à l’honneur ceux et celles qui sont en premières lignes : le personnel soignant et non-soignant des hôpitaux.

Une passion pour les autres et pour la mer

Né en 1976 à Nouméa, où il n’y restera que six mois pour aller en Polynésie, Tony a un demi-frère de la même maman, Christian Söderlund, chirurgien orthopédiste à Tahiti, et deux demi-frères, Jean-Yves et Thierry, côté papa. De son père, aujourd’hui décédé, il en retirera une grande connaissance de la mer, avec une enfance baignée au sein du Yacht Club de Tahiti, dont il est aujourd’hui président.

« Mon père, c’était un très bon pêcheur, sa qualité était sa générosité. Nous faisions des allers-retours à Nuku Hiva… »

De sa maman, pharmacienne sur l’île de Huahine, lui viendra jeune sa vocation d’aider les autres.

« Je faisais les pansements aux copains qui se blessaient à la voile. Ma mère a beaucoup travaillé et m’a transmis l’importance de l’exemplarité et la valeur du travail. Si j’ai fait 10 ans d’études, c’est pour les gens, c’est pour rendre service… »

Aujourd’hui, Tony a deux enfants de 11 et 14 ans et sa femme Charlotte, médecin elle aussi, est pneumologue à l’hôpital du Taaone.

« Je suis parti de Polynésie avec des yeux de gamin et j’y suis revenu avec des yeux de médecin… »

Pour une médecine à la rencontre des polynésiens

Pour Tony, il est important de comprendre le polynésien, et à l’aune de son expérience, il constate que celui-ci ne vient pas vers les structures de soin si facilement.

« En France, ce n’est pas la même mentalité. Ici, souvent c’est fa’aro’o mai 1, puis ra’au Tahiti 2 et seulement ensuite ils viennent vers la médecine occidentale, quand il y a des complications. Notre population n’est pas en très bonne santé… »

Pour les maladies chroniques, c’est à dire :

  • les affections de longue durée de six mois ou plus qui requièrent une prise en charge régulière ;
  • sources de nombreuses complications graves ;
  • qui entraînent la détérioration de la qualité de vie des patients ;

Tony considère que le système de santé doit aller plus vers la population.

« Aller de plus en plus vers les polynésiens, je n’en démords pas. Il faut aller les chercher devant les foyers. Il y a 68 000 salariés en Polynésie, donc suivis médicalement, mais que fait-on des 210 000 autres personnes ?»

Tony s’investit alors dans la prévention au début de sa carrière. Il ne veut pas se limiter à la prévention primaire, seulement informative, mais s’engage sur le chemin de la prévention secondaire, avec le dépistage de la maladie asthmatique chez l’enfant.

« Les patients comorbides, c’est-à dire ceux qui présentent une ou plusieurs maladies en plus d’une première maladie chronique, sont plus complexes à traiter et plus couteux pour le système de santé. Aujourd’hui, on redoute le développement de la pandémie sur ces patients… »

Financé par l’EPAP3, Tony travaille sur un programme de prévention de l’asthme chez l’enfant qui ne dure malheureusement qu’une seule année malgré des résultats prometteurs. Il souhaite rebondir sur un projet de bus de prévention-dépistage des maladies chroniques, un bus d’éducation thérapeutique qui va au contact de la population. Hélas, le projet ne voit pas le jour.

Un défenseur de la télémédecine

En 2013, Tony essaye de développer la télémédecine. Le professeur Louis Lareng, qui a créé le SAMU en 1975, vient à cette même époque en Polynésie en qualité d’expert.

« L’isolat n’est pas forcément un handicap, on peut le transformer en force »

Il faut dire que cela fait un petit moment que Tony réfléchit à cette problématique. En 2004, sa thèse de docteur en médecine portait sur « La mise en place d’un réseau de santé dans les archipels éloignés reposant sur la télémédecine ».

« Le coût financier initial était loin d’être énorme eu égard au service rendu et permettait des économies à moyen et long terme. Ce qui coûtait cher c’étaient les lignes sécurisées. Techniquement, il n’y avait aucun problème. Pour la gestion de l’urgence ou des maladies chroniques, cela évite le déplacement des patients. »

Mais à l’époque, ses préoccupations ne trouvent pas d’oreille attentive.

Urgentiste depuis 2007

« Tu connais l’adage : nous, les urgentistes, on sait à peu près rien sur tout, et les spécialistes savent tout sur rien. C’est vrai que l’on touche à beaucoup de domaines de la médecine. Notre activité est variée, ce n’est jamais pareil. »

Aujourd’hui, l’objectif est de gérer la crise sanitaire qui se profile. Pour cela, il est important d’étirer et d’étaler dans le temps le nombre des infections graves.

« La décision de confinement a été prise de façon courageuse mais nécessaire. On a l’expérience de ce qui se passe en Italie où il y a eu un tropisme sur les personnes âgées avec une saturation de leur capacité de réponse sanitaire et donc moins de place ensuite pour les gens plus jeunes. »

Pour permettre au système de santé de répondre à la demande de soin, il est donc essentiel de respecter les mesures de confinement, mais aussi et surtout :

« se laver régulièrement les mains. On ne se touche pas le visage avant de s’être lavé les mains. Il ne faut pas prendre cette situation à la légère. »

Tony reste confiant. Si le développement des structures de soin est capital, il sait qu’il ne faut pas faire l’impasse sur la prévention. Pour lui, le système de soins polynésien peut être amélioré car il y a beaucoup de gens de bonne volonté. Il ne sait pas encore ce que réserve l’avenir, mais en attendant :

« La population me le rend bien. Il n’y a pas une garde sans que quelqu’un ne me dise : ah taote, on est fiers ! »

1 : Tiens bon, courage

2 : Médicament tahitien

3 : Etablissement Public Administratif pour la Prévention

Tehina De La Motte
Rédactrice web

© Photos :  RedonnerVie (couverture) – Tony Tekuataoa 

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