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Jean-Philippe, de banquier à pilote de ligne - Hommes de Polynésie

Jean-Philippe, de banquier à pilote de ligne

Publié le 12 octobre 2018

On savait que la qualité première du polynésien est sa polyvalence. Jean-Philippe Liu Sing en a fait sa marque de fabrique. Tour à tour manager, banquier, routard, volontaire dans une ferme bio, soigneur de tigre, professeur et…futur pilote pour Easy Jet. Le tout à seulement 36 ans ! Hommes de Polynésie vous présente un polynésien qui a appris qu’il faut parfois aller à l’autre bout du monde pour se trouver.

« On m’a donné une nouvelle vie, une nouvelle chance, un nouveau départ. »

Une vie à 100 à l'heure

Jean-Philippe est de ceux qui ont la bougeotte, d’une nature très curieuse. Né d’un père professeur de maths et d’une mère enseignante, sa soif de découverte s’est manifestée très jeune. Après le Bac, à 17 ans, il quitte Papeete pour Montpellier et Paris. Il y poursuit des études d’économie et de commerce.

« Je ne savais pas trop quoi faire en fait mais je savais où je voulais aller et j’ai toujours rêvé de partir aux Etats Unis ! »

Après l’obtention de son master à Paris, il prend donc l’avion direction, non pas Los Angeles ou New York, mais le Texas.  San Antonio pour être précis.

« Je nettoyais des tables de restaurant la nuit, le jour j’étudiais et faisais du tutorat. Ce n’est pas Hollywood, ce n’est pas shopping center. Mais j’ai pu rentrer dans une banque où j’ai travaillé pendant deux ans et au terme desquels mon permis de travail a expiré. L’expérience sur place n’ayant pas été à la hauteur de mes attentes, je décide de ne pas reconduire mon séjour et de retourner à Tahiti. »

Il voulait prolonger le périple dans des pays anglosaxons, comme l’Australie. Il trouve finalement un poste de manager chez AXA assurances au fenua. Il entame une vie de cadre moyen, toujours pressé, pas le temps de vivre. Comme la plupart des gens il vivait pour le lendemain et attendait le week-end pour souffler. L’expérience va durer 4 ans. A ce moment précis de sa vie, il pensait vouloir faire carrière dans le milieu des finances, alors il devient chargé d’affaires pour les entreprises à la Banque de Tahiti.

« C’est très intéressant parce que tu es très au courant de tout ce qui se passe. Sauf qu’au bout de 2 ans ça ne me plait toujours pas. Malgré le fait que j’adore aller à la rencontre de mes clients et les accompagner dans leur démarche de développement. Il me manquait quelque chose et je commence à m’ennuyer. »

Un tour d'Asie en sac à dos

La disparition de son père va lui donner l’envie de se réaliser autrement. Nous sommes en 2014.

« A 33 ans je fais un rapide bilan de ma vie : je ne suis pas heureux dans ce que je fais, j’assiste au douloureux combat entre mon père et son cancer, j’ai dit stop. Y a un truc qui va pas. J’ai toujours suivi ce que l’on me disait mais est-ce que c’est vraiment ce que je veux ? »

Une petite voix lui rappelle alors qu’il a toujours rêvé de faire un tour du monde en sac à dos ! Il démissionne, prend un sac, deux shorts, trois tee-shirts, un pantalon, une paire de chaussures et une paire de lunettes. Il prend un aller simple pour le Japon et commence par un tour d’Asie en sac à dos. Un voyage censé durer un an.

« L’idée de ce voyage c’était de prendre le temps de réfléchir aux questions qui me turlupinent. Et puis j’ai envie de travailler pour moi-même, je voulais donc trouver une idée de business en Asie et ramener cette idée lumineuse à Tahiti. »

Pour être en conformité avec son idée de prendre le temps, il privilégiera les transports maritimes et terrestres à l’avion.

« J’ai pris des bateaux, des trains, fait des trajets à pied, en auto-stop en bus, j’ai fait le sud du Japon, je suis remonté en Corée du sud en bateau et rejoint la Chine toujours par voie maritime. Et durant ce périple j’ai passé beaucoup de temps à observer les autres. Les locaux, leur façon de vivre, leur culture. »

Au début il planifiait tout, et puis il a arrêté et tous les soirs il ne savait pas où il allait dormir.

« Du coup je décide de rester un mois dans le pays que je visite. Je fais des rencontres et me construis un réseau d’amis. Et le mois suivant je recommençais non plus avec la crainte de ne pas savoir où dormir, mais la joie de me faire de nouveaux amis. La façon de voir les choses est complètement différente. Et donc on reprend son sac, on y va. »

Pour le gîte et le couvert il a sa solution : faire du volontariat comme du World Wild Opportunities on Organic Farms (“WWOOFing”), c’est à dire du volontariat dans des fermes bio.

« Tu fais vraiment partie de la famille. Il y a un vrai échange, parce qu’ils ont leur manœuvre, donc en fait on est vraiment en immersion dans leur quotidien. J’ai principalement fait ça au Japon. »

En Thaïlande, il passe un mois dans un temple Bouddhiste. Il s’agit en fait d’un refuge animalier. Il accueille des animaux malades ou blessés, principalement des tigres. De 5 félins à l’origine, aujourd’hui on en recense 149. Le domaine abrite également des chevaux sauvages, des cerfs, des cochons sauvages.

« Et mon job c’était de nourrir des bébés tigres. Tous les matins, je me levais, je les réveillais, les emmenais en ballade dans le temple afin que les touristes puissent les voir. Je nettoyais leur cage et leur donnais à manger. J’ai fait ça pendant un mois. Dans une vie, tu n’as jamais l’occasion de passer autant de temps avec ce genre d’animaux, et de façon intime. Moi je les portais sur moi, c’était mes bébés, et tu les vois grandir, ce sont des animaux magiques… magiques. »

L'accident

8 mois se passent et on le retrouve au Vietnam. Avec des amis américains rencontré au bord du Mékong, ils s’achètent des engins pour remonter le Vietnam du Sud au Nord. Jusqu’ici tout va bien. Et puis à 150 kilomètres avant d’arriver à Hanoï, c’est l’accident. Il est percuté par une voiture. 

« J’ai explosé mon fémur gauche, des plaies ouvertes au niveau du tibia, trois cotes fêlées, un poumon perforé, et la main cassé à plusieurs endroits. Mais je suis conscient. »

Conscient mais incapable de faire le moindre mouvement. Il ne peut plus bouger ! A ce moment-là ses amis américains avaient déjà pris de l’avance, le voilà seul dans la pampa asiatique, perdu au milieu de nulle part ignorant comment il allait s’en sortir. Le début d’une folle journée.

« Cette journée, elle faisait partie de mon voyage. Ça faisait partie des choses que je devais vivre pour grandir. Une journée partagée entre pleurs et fou-rire. Fou-rire et angoisse. »

Le premier des nombreux fous-rire est arrivé après qu’il se soit imaginé en bon « occidental » qu’un hélicoptère allait être dépêché pour le sauver, l’acheminer vers un hôpital et qu’on allait lui prodiguer les soins nécessaires. Car évidement tout ça n’est jamais arrivé.

« J’ai passé une journée complète dans la position allongée à 180°. J’ai atterri dans un dispensaire au décor des années 50. Le docteur me dit dans un français à peine compréhensible « je soupçonne un poumon perforé, il faut l’emmener dans un hôpital », je dis oui s’il vous plait ! J’ai vu une ambulance arriver, je me suis dit ouf sauvé, mais l’hôpital vers lequel ils m’ont dirigé était un hôpital de région… c’était pire que Mamao ! »

La barrière de la langue empêche toute communication. Il a commencé à avoir peur. La situation devient rocambolesque. Lui, l’accidenté organise sa propre évacuation avec pour seule consolation une piqûre de morphine.

« Il était hors de question de me faire opérer sur place. L’idée était de me transporter à Hanoi, d’appeler mon assurance en France et qu’elle allait tout gérer. La morphine m’a aidé à rester zen à relativiser et à ne pas dramatiser. »

Il est conduit dans une chambre et posé sur un sommaire sommier au centre d’une chambre bondée de monde. Il devient immédiatement la bête de foire. Les gens le touchent pour vérifier qu’il soit bien vivant. Jean-Philippe n’en peut plus, s’agace puis se ressaisie.

« Je me suis dit, si ça se trouve ces personnes-là, ce sont les dernières avec lesquelles tu vas parler avant de partir, alors parle avec eux, rigole avec eux, pars dans un bon état d’esprit, dans la bonne humeur ! »

Et là arrive de nulle part, le conducteur du « touctouc » transformé en tracteur qui l’avait percuté, un paysan de la région.

« Je n’en revenait pas, je lui ai dit merci d’être là, merci d’être revenu. Il aurait très bien pu m’ignorer ou tout simplement ne pas venir. Mais au lieu de ça il était là. »

La providence frappe. Le jeune conducteur se charge de tout, il paye son évacuation : 150 dollars, l‘équivalent d’un mois de salaire. C’est la fin de la journée, il s’est écoulé 12 heures depuis son accident et Jean-Philippe voit enfin une ambulance arriver et le brancardier en descendre pour le transporter.

« Et là scène de liesse ! Toute la salle, dans le couloir, tous les gens qui étaient restés là toute la journée, ont applaudi ! »

Il retrouve le monde moderne et il sera opéré 24 heures après son accident. De retour au Fenua, les médecins lui diront « coup de chance, ce genre de blessure doit être opérer dans l’heure qui suit ».

« Ça m’a rendu plus fort mentalement parce que ma patience a été mise à rude épreuve ainsi que mon lâché prise, ce n’était pas dans le mauvais sens, j’ai pris ça comme « tu vas grandir avec ça », cette leçon elle a duré un an, j’ai mis un an pour me remettre en état. »

Jean-Philippe mettra 5 mois pour récupérer l’usage de ses membres. A l’instar de sa liberté d’action des premiers mois de voyage, il était devenu prisonnier de son propre corps.

« Je ne pouvais plus bouger, ma jambe ne bougeait plus. Je me sentais complètement prisonnier. En fait ce voyage m’a permis de faire le deuil de la perte de mon père. »

Nouvelle vie

Du choc à l’acceptation, Jean-Philippe vit les 5 étapes du deuil de façon très lucide.

« On m’a donné une nouvelle vie, une nouvelle chance, un nouveau départ. C’est une véritable renaissance ! Maintenant comment mettre à profit ce cadeau. »

Fin 2015, après son rétablissement, il sait clairement ce qu’il veut faire : pilote de ligne.

« Je pilotais déjà en fait puisque j’avais passé mon brevet de pilote ici. Je m’inscris dans une école de formation en Andalousie. Et là pendant 15 mois je n’ai plus de vie, je me forme, je travaille, j’étudie. »

L’école a un partenariat avec la société Easy Jet. A l’issue de chaque cycle de formation elle lui transmet la liste de ses meilleurs candidats. Des entretiens sont proposés pour un premier contact. Parmi les ingénieurs de l’ENAC retenus il y a aussi un Tahitien.

« Je considère que je viens de la brousse, je suis trop content d’avoir survécu à ça, il me propose un boulot. Ils me mettent dans une poule. L’étape suivante c’est qu’il faut que j’aille en qualification de type, donc sur des A320. Ils ne me donnent pas de date, on est une vingtaine dans ma promo, on attend. »

De retour en juin, Jean-Philippe prend un mois de vacances puis enfile la tenue de professeur de technologie à La Mennais. L’histoire ne s’achève pas là. Easy Jet le contact et lui annonce qu’un candidat s’est désisté pour la qualification de type. Il y a donc une place qui se libère en décembre. Il est convoqué à Amsterdam le 03 décembre pour commencer sa formation. Quand il raccroche, Easy Jet lui dit l’attendre pour le 21 janvier afin de signer son CDI.

« Un professeur m’avait dit un jour, tu ne seras jamais payé pour regarder par la fenêtre… J’ai fait mieux, je serais payé pour regarder dehors !  J’ai toujours besoin d’action, de nouveauté, de vibrer, de vivre par passion, donc tout ce que je fais je le fais de cette façon-là. Dans quelques mois je serai aux commandes d’un A320 au-dessus de Barcelone en Espagne. Une fois que je serai là-bas, ma nouvelle soif de nouveauté ce sera d’apprendre à parler l’Espagnol! »

Jeanne PHANARIOTIS
Rédactrice web

© Photos : Jean-Philippe Liu Sing

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