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Portrait

Pierre, de la terre à l’océan !

Publié le 12 novembre 2018

Lacombe, de son prénom Pierre, est architecte. L’Agence Tropical Architecture, c’est lui. Entre autres réalisations : la présidence de la Polynésie Française et la Gare maritime. A 78 ans, Pierre s’est construit une solide réputation au fenua, en Nouvelle Calédonie, en Guyane Française, à Saint Martin et à l’étranger (Afrique de l’Ouest, Zimbabwe, et Mozambique, ainsi qu’aux Caraïbes).

Hommes de Polynésie est allé à la rencontre d’un polynésien d’adoption qui déclare : « vivant en Polynésie depuis 50 ans, avec une équipe constituée en majorité de polynésiens et polynésiennes dont je suis fier, je me sens français fier de mes ancêtres mais polynésien avant tout. Je finirai mes jours à Tikehau où j’ai l’immense bonheur d’y posséder une maison et d’être pleinement accueilli par mes amis Paumotu. »

Architecte urbaniste

1968, tandis qu’en France les événements du mois de mai secouent encore tout le pays, à Paris, Claude Bach1, architecte urbaniste lauréat du grand prix de Rome, dépêche sur Tahiti un jeune architecte urbaniste diplômé de l’Institut de l’Urbanisme de Paris.

« La SETIL, Société des Equipements de Tahiti et ses Iles, cherchait un architecte urbaniste pour étudier les PGA de Punaauia et de Bora Bora. Ainsi à travers la SETIL, j’ai eu cette formidable opportunité de venir en Polynésie ! »

Nous sommes en Juin, Pierre a 28 ans. De Paris, il débarque de la Panam après avoir transité par Hawaii, premier pas vers les Tropiques.

« J’ai reçu mon premier baptême de collier de fleurs à New York, parce que l’on devait transiter par New-York. On nous avait accueillis avec un jus d’ananas. Il y avait des hawaïennes en tenue de danse traditionnelle, des ukulele.  Cela a été mon premier contact avec les îles que je ne connaissais pas. »

Pierre est de Haute Saône. A l’exception de son père, ses oncles et son grand-père étaient des paysans. Son père a fait carrière dans l’armée. Un pilote de chasse qui a gravi les échelons pour devenir général. Avec son père, ils se sont complètement déconnectés de cette vie paysanne. Mais l’amour de la terre, la nature, les matériaux sont dans leurs gènes.

De la Haute Saône au PGA de Bora Bora et Punaauia

« On est donc à Hawaii. Le jour, je voyais le balai incessant des touristes au Royal Hawaiian, qui était l’un des seuls hôtels et celui incessant des engins qui transportaient des pieux bétons destinés à être battus pour fonder les futurs hôtels qui sont édifiés actuellement. A l’époque, on parlait de 500 000 touristes. La nuit dans le jardin qui se trouvait derrière l’hôtel, on entendait les tourterelles, et au petit matin, il y avait une espèce de pluie fine, l’odeur de la végétation, de la nature. On a eu beau temps pendant 8 jours. »

Après ces 8 jours, il arrive à minuit à Tahiti…

« J’ai été accueilli par le directeur de la SETIL qui était Monsieur Roger Guiraud. Dans l’aérogare, une odeur de fleurs m’a envahi. Ce premier contact était déjà le prélude à ma vie future. Il faut perpétuer cette sensation dans le cadre du dépaysement à apporter aux touristes loin de leur lieu de vie. »

Cette nuit-là, il est logé dans l’un des bungalows qui était réservé à l’hôtel Taaone. C’était un bungalow en pandanus avec charpente apparente.

« J’avais l’impression d’être dans une cabane de jardin, c’était mon premier contact avec l’architecture polynésienne où la frontière entre le végétal et le bâti est fugace. Toutes les démarches architecturales devraient être basées également sur la gestion, la volumétrie à l’échelle humaine, sur la culture et la tradition. En Polynésie, nous ne sommes pas sur le bord de la Méditerranée. Nous avons des conditions climatiques qui doivent générer une architecture adaptée à notre mode de vie et à celle que viennent chercher nos touristes. »

A Tahiti, le relief montagneux de Punaauia laissait peu à peu place à l’habitat ; Lotus, Taïna.  Des lotissements bien adaptés à la topographie du lieu. Une fois la phrase terminée, Pierre me lâche les yeux rivés sur le bureau :

« Quand je vois comment on détruit cette montagne, en ne tenant pas compte du relief. Pourtant avec les moyens techniques que l’on a à notre disposition comme la 3D, on aurait pu éviter ces plaies. Je reproche à l’urbanisme de ne pas avoir été vigilant et d’avoir laissé la porte ouverte aux promoteurs. On a tiré le maximum possible de parcelles au détriment du respect et d’intégration de la topographie aux reliefs. »  

Pierre venait de penser à voix haute. Il reprend son récit. Pierre est donc arrivé, sa mission est d’aller à Bora Bora. Sur place, à l’Hôtel Bora, le seul hôtel à l’époque, après 3 semaines sur cette île paradisiaque, il a été vacciné au Tiare. 

« Quel privilège sur la Pointe Matira. Il n’y avait pas une maison. Il n’y avait rien, c’était merveilleux, c’était le paradis ! Dans le cadre de ma mission, j’ai réuni les notables à Vaitape. Il y avait beaucoup de monde, jeunes popa’a fraîchement débarqués. Je me souviens encore leur avoir dit la chance qu’ils avaient d’être sur l’une des plus belles îles du monde. »

Suite à son séjour, il retiendra le déplacement de la route qui serpentait le long du littoral par une moyenne corniche située au niveau de la cime des cocotiers permettant d’une part, d’avoir une vision merveilleuse sur un lagon turquoise et d’autre part, d’assainir l’espace compris entre les contreforts du volcan et la route côtière, espace boueux jonché de trous de tupa (générateur de gites à moustiques).

« Finalement le PGA n’a pas été approuvé. Je ne sais pas ce qu’il en reste et où se trouve ce document. Ça me ferait plaisir de retrouver ces documents qui paraissaient à l’époque utopiques, mais qui réalisés, auraient davantage mis en valeur cette destination unique. »

Lors de cette réunion, il avait conseillé aux notables de faire abstraction de la voiture, d’utiliser golf car électrique, des calèches et d’utiliser uniquement pour les services publics des véhicules traditionnels. Depuis sur l’île Moustique, Branson a repris cette idée.

De Tahiti à Nouméa

Les mois étaient passés…une année. Pendant cette année, il a travaillé sur le PGA de Punaauia et avait prévu, compte tenu déjà des problèmes de circulation, de doubler la route côtière par une voie en pied de montagne qui est devenu actuellement la route des plaines. Il s’était fait un cercle d’amis qui lui disait « en Calédonie, il y a beaucoup de travaux, il n’y a pas beaucoup d’architectes », dans le même temps il avait commencé à travailler sur certains projets à la SETIL notamment l’extension de l’aéroport. Et voilà qu’une nouvelle opportunité se présente…sur le caillou tout en gardant son agence à Tahiti.

« J’ai fait mon premier hôtel en Nouvelle Calédonie : Le Surf Hôtel, 150 chambres. Un investisseur français, un Palois, bénéficiant de la loi Pons (une exonération à 100%), projetait la réalisation d’un hôtel style colonial. Il avait un budget, un calendrier il m’a laissé faire. C’était une réussite.  Cela m’a permis d’accéder dans l’hôtellerie. Ensuite, sur un îlot maître (à 4 km de Nouméa), Bill Ravel, m’a demandé de faire des bungalows, c’est ainsi que j’ai fait mes premières expériences hôtelières. »

En 1983, les événements graves que l’île a connus obligent Pierre à se consacrer uniquement sur son agence à Tahiti. Il a laissé son agence de Nouméa à son partenaire, Daniel Leroux, architecte. Au Fenua, Maître Lejeune lui avait confié le Centre Commercial et la résidence Lotus au bord de l’eau. M Jean Vernaudon lui avait proposé de réaliser le siège de la Socredo, à partir de l’ancien bâtiment existant. Parallèlement à ce chantier en cours, la Polynésie subissait le cyclone, notamment Veena2. A Bora Bora, l’hôtel le Marara était très abîmé.

« Le groupe Accor m’avait confié la rénovation et l’extension à partir du bâtiment existant conçu par mon confrère Denis Fieldel, ce qui m’a permis par la suite de réaliser la totalité des développements touristiques du Groupe Accor en Polynésie : le Marara, le Private Island, Ia Ora à Moorea, la rénovation et l’extension de l’hôtel Maeva. J’ai eu la chance de réaliser un nombre important d’hôtels en Polynésie, comme le Saint Régis, le Bora Nui devenu Conrad, le Pearl Beach de Tikehau et de Moorea, le Polynesia, et le Top Dive à Bora Bora. »

Il retient de cette période le rayonnement à l’étranger de son travail et de son équipe, pour l’ensemble des projets concrétisés. Le Président Directeur Général du Starwood Capital, Barry Sternlicht, était venu en personne voir le concept du Bora Bora Nui devenu le Conrad.

« Il m’a demandé si j’étais intéressé à travailler aux caraïbes pour réaliser à Turks et Caïcos qui devait être le premier hôtel Baccarat, 5 étoiles plus. J’étais doublement flatté parce qu’il avait lancé une consultation aux Etats-Unis qui ne l’avait pas satisfait et dont il m’a fait part par la suite. Ce qui m’a donné l’occasion d’avoir une agence sur la 5ème avenue à New-York, avec une jeune architecte Madeleine Fava, mariée à un médecin français toujours en activité à Tahiti. On a développé ce projet pendant 3 ans. Malheureusement, les revendications sur le foncier ont fait que le projet n’a pas été réalisé. »

L'aventure africaine

La réputation de Pierre traverse les océans. Il y a 5 ans, en Guinée Equatoriale, le fils du président, après un séjour au Saint Régis, lui a proposé de construire un hôtel de même type en Afrique dans le Golfe de Guinée sur l’ile de Corisco, face de Libreville. Les travaux sont en cours. Au Zimbabwe, à proximité des chutes Victoria, il a dessiné un concept resort and spa 5 étoiles qui n’a pu voir le jour, compte tenu de la situation politique. Au Mozambique, sur un site surplombant l’océan indien, il travaille sur un développement d’un resort 5 étoiles entre le bord de mer, une réserve animale et un golf. 

 « Ces expériences vont profiter à mon fils qui est architecte comme moi. Notre dernière réalisation hôtelière est à Bourail en Nouvelle Calédonie ; Un Sheraton de 180 clés avec 60 bungalows et 60 bâtiments, 120 chambres qui donnent sur le golf. Une architecture toujours très vernaculaire avec des toitures en paille sur de larges volumes. Actuellement, nous travaillons sur de nombreux projets en Polynésie, dans le cadre du développement touristique, et du développement… »

Dans son bureau installé au centre commercial du Lotus à Punaauia avec toute son équipe dont il est fier, Pierre est un brin nostalgique.  Cet architecte qui se renouvelle sans cesse, dans un esprit vernaculaire et contemporain. La réalisation de la présidence du pays a pour Pierre une résonance particulière après 50 années passées en Polynésie, c’était une démarche d’architecture classique pérenne. Il ne s’agit pas du palais de la démesure comme on lui a souvent répété, mais un lieu de réception, d’accueil des Polynésiens et de nos visiteurs officiels. Il est aussi fier de la gare maritime. Les gens n’avaient pas compris pourquoi cette hauteur, mais dans toutes gares maritimes il y a des contraintes, dont la première : faire circuler d’énormes véhicules. Avant de rejoindre son équipe qui l’attendait dans une salle qui jouxte son bureau, Pierre tenait à conclure cet entretien a rappelant ceci :

« Pour l’élaboration d’un projet, c’est un peu comme une pelote de laine. Il faut trouver le bout du fil, et dérouler en fonction du programme, du site, de son expérience et de sa sensibilité.  C’est passionnant. Moi je le fais encore à mon âge, j’ai 78 ans, et je le ferais jusqu’à ce que mon état physique me le permette. Ça me fait vivre, je peux dire que si je devais revivre un jour, je demanderais la même vie. Je suis très heureux, j’ai convaincu mon fils à exercer avec moi et après moi. Poursuivre ce que l’on fait pour les hommes tout en modestie, humilité, mais attaché aux valeurs locales, à la culture et à la tradition. Polynésiens, vous êtes nés au Paradis. Douceur, gentillesse, art, culture, tout est dans vos gènes. Merci de m’avoir accueilli ! »

1 Claude Back : Auteur en 1961 du rapport préliminaire, enquête d’urbanisme sur Papeete et sa banlieue, enquête concernant la création de centres touristiques, des Perspectives d’aménagement du domaine d’Opu- nohu-Moorea. Source : Journal de la Société des océanistes, tome 17, 1961. p. 79

Avril 1983, Veena, 4ème cyclone de la saison, est la tempête qui a provoqué le plus de dégâts avec 6 milliards de dommages matériels. On déplore 1 mort, 202 blessés et 25 000 sans-abris.

Jeanne Phanariotis
Rédactrice web

© Photos : Pierre Lacombe, Tropical Architecture

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